Ami et élève de Claude Olievenstein (1933-2008), avec lequel il a travaillé pendant des années à l’hôpital Marmottan, à Paris, Carlos Parada, psychiatre engagé, spécialiste des toxicomanies, raconte, dans le fort intéressant Toucher le cerveau, changer l’esprit, les déboires et les errances de la psychochirurgie, qui visait à éradiquer les psychoses, les dépressions et l’homosexualité par des opérations barbares sur le cerveau : leucotomie, lobotomie, topectomie, thalamotomie. Quelle que soit la variété des techniques, il s’agissait toujours de prélever une substance cérébrale dans le but d’altérer un trouble psychique ou mental.
Toucher le cerveau, changer l’esprit, de Carlos Parada, PUF, « Science histoire & société », 204 p.
Mise au point en 1935 par le médecin portugais Egas Moniz (1874-1955), qui reçut le prix Nobel en 1949 pour ses recherches, cette pratique reposait sur la conviction qu’il existerait une continuité absolue entre le cerveau et l’esprit. Comme si enlever un lobe à l’aide d’un bistouri suffisait à changer la condition humaine. Ces interventions n’eurent aucune efficacité et ne firent qu’ajouter une anomalie, liée à l’amputation, à un déséquilibre psychique. Certains cas sont restés célèbres aux Etats-Unis, celui, notamment, de Carl Liebman (1900-1969), ancien patient psychotique de Freud qui finira ses jours dans un hôpital psychiatrique, et celui de Rosemary Kennedy (1918-2005), opérée en 1941 dans le plus grand secret à la demande de son père, Joseph Kennedy, patriarche du clan. Elle ne s’en remettra jamais. Quant à Moniz, il sera agressé par un patient schizophrène. Contraint de circuler dans un fauteuil roulant, il poursuivra ses expériences jusqu’à sa mort.
Le choix entre deux voies
Si Carlos Parada n’évoque pas ces cas, il montre néanmoins comment s’est développé ce rêve de « changer l’esprit en touchant le cerveau » et il indique que la psychiatrie biologique de la seconde moitié du XXe siècle avait le choix entre deux voies : l’intervention chirurgicale d’un côté, la généralisation des psychotropes de l’autre. En France, de nombreux psychiatres, parmi les plus humanistes et les plus ouverts à la psychanalyse et donc au traitement psychique – Georges Daumezon, Henri Ey, Serge Lebovici –, acceptèrent en partie cette pratique, en invoquant la suppression de la souffrance chez les patients agités, angoissés, délirants. Seul Henri Baruk (1897-1999), anti-freudien avéré, refusa de s’engager dans un débat sur la notion même d’efficacité. Aussi s’opposa-t-il, par principe et au nom d’une morale religieuse, à ces interventions aujourd’hui interdites dans de nombreux pays. Il considérait qu’il y avait peu de différence entre les malades mentaux et les hommes ordinaires, et que le médecin devait supporter les violences et la folie du malade.
Dans cette optique, Carlos Parada soutient que la psychiatrie biologique contemporaine a hérité, d’un côté, de l’aspect « disciplinaire » de la psychochirurgie, quand les substances chimiques sont administrées par le psychiatre du haut de son autorité et, de l’autre, de son caractère transgressif, quand le patient se drogue au point de s’autodétruire. Dans cette nouvelle configuration, le psychiatre n’a plus le pouvoir d’imposer un traitement barbare au patient sans son consentement tandis que celui-ci peut décider lui-même de consommer de la drogue. Pouvoir disciplinaire et transgression de la norme sont donc les deux facettes d’un savoir psychiatrique en quête d’identité.