"La psychiatrie n'est pas une science exacte"
LE MONDE |
Le docteur Canarelli a reçu le soutien de cinq syndicats de psychiatres. Olivier Labouret, le président de l'Union syndicale de la psychiatrie, auteur du Nouvel Ordre psychiatrique (ed. Erès, 336p., 25,50euros), explique en quoi ce procès choque la profession.
Pourquoi soutenez-vous le docteur Canarelli ?
Ce qui nous gêne dans cette procédure, c'est l'impression qu'il faut trouver un bouc émissaire. Nous jugeons inadmissible de vouloir ainsi faire de cette psychiatre la principale responsable, car nous sommes là dans une situation complexe, où la responsabilité de ce médecin apparaît pratiquement nulle.
Que lui est-il au juste reproché ? De ne pas avoir réussi, lors d'une consultation, à garder un patient en sortie d'essai, alors qu'elle jugeait qu'il nécessitait d'être réhospitalisé. Autrement dit, de ne pas avoir réussi à assurer la sécurité publique, comme si c'était son rôle, et non celui de la police. Or, malgré le signalement qu'elle a fait de sa "fugue", le patient n'a pas été interpellé.
Nous ne sommes pas des policiers. Entre le patient et le psychiatre, tout doit être basé sur la confiance et le soin thérapeutique, pas sur la sécurité.
Est-ce la première fois qu'un psychiatre pourrait être reconnu responsable des actes de son patient ?
A ma connaissance, oui. Cela s'inscrit dans le climat sécuritaire actuel. Dans cette affaire, un expert a par ailleurs estimé que le diagnostic de la psychiatre était inadapté, parce qu'elle n'avait pas délivré de"traitement retard" rescription de neuroleptiques à action prolongée], qui aurait pu empêcher le passage à l'acte. Mais la psychiatrie n'est pas une science exacte, nous tâtonnons forcément, chaque cas est différent. Le "traitement retard" n'est pas la panacée, encore faut-il réussir à le faire accepter par le patient.
Il est impossible d'imposer au patient la prise de médicaments, sauf à exercer un chantage à l'enfermement, ce qui n'est pas le rôle du psychiatre. C'est pourtant l'esprit de la loi sur les soins sans consentement adoptée en 2011, dont nous réclamons l'abrogation car le soin ne peut devenir une contrainte.
Quel impact aurait une condamnation du docteur Canarelli ?
Cela ferait sûrement jurisprudence et aboutirait à ce qu'il y ait une épée de Damoclès au-dessus de chaque praticien. Cette pression transformera les psychiatres en gardiens de l'ordre public. Le risque pour les patients serait alors de rester de plus en plus enfermés à l'hôpital –alors que l'on réduit le nombre de lits dans les établissements! Heureusement, ce genre d'affaire est rarissime, parce que la police intervient normalement en cas de signalement, et parce que les patients psychiatriques ne sont pas plus dangereux que le reste de la population. Il est toujours utile de le rappeler.
Propos recueillis par Laetitia Clavreul