Loin des injonctions morales, «Soyez vous-même !», ou de la quête effrénée d’une absolue singularité, le philosophe réhabilite la notion d’authenticité: la capacité de chacun à suivre ses propres principes et à être fidèle à ses aspirations. Une réflexion éthique nécessaire dans une société prompte au scepticisme et séduite par les «fake news».
Vivre en accord avec ses principes, s’avouer ses désirs et ses ambitions, ne pas adapter son comportement ou son discours à ceux des autres… Pour le philosophe Claude Romano, maître de conférences en philosophie à l’université Paris-Sorbonne, les sociétés européennes et nord-américaines modernes ont accompagné l’émergence d’un type de rapport à soi fondé sur l’authenticité individuelle. Ainsi l’être humain s’accomplit-il désormais en coïncidant avec sa vérité personnelle profonde, contre l’écrasement des convenances et la rigidité des mœurs, explique l’auteur au fil de son essai Etre soi-même, une autre histoire de la philosophie (Folio Gallimard, 2019). Ce livre, qui aura nécessité sept années d’écriture, est une didactique et massive analyse historique du concept d’authenticité qui prend racine dès la Grèce antique, rencontre les théoriciens de l’art classique, mais aussi Descartes et Rousseau. Avec cet ouvrage, Claude Romano n’entend pas uniquement retracer l’évolution de l’idéal de vie authentique à travers les âges de la pensée occidentale. Le philosophe espère aussi réhabiliter la notion de vérité personnelle, par-delà les tentations d’extrême scepticisme qui nourrissent les questionnements philosophiques actuels comme les débats médiatiques sur la post-vérité et les fake news.
Votre livre s’ouvre sur une référence à la figure mythologique d’Ulysse. Pourquoi ?
Parce que j’estime que la question de l’authenticité est au point de départ de la culture occidentale. Dans l’Odyssée d’Homère, Ulysse vit une errance dans laquelle il perd son identité. Le mot «Odysseus», qui veut dire «Ulysse» en grec, rappelle le mot «oudeis», c’est-à-dire «rien» ou «personne». Ulysse est celui qui a tout perdu, y compris lui-même, et le poème homérique raconte comment il va retrouver son identité et enfin réussir à se montrer tel qu’il est. Il est historiquement la première figure qui pose la question : «Quand sommes-nous dans l’apparition de nous-même et quand sommes-nous dans la dissimulation ?»