AMA
13 février 2018
Le docteur Anne-Marie Dubois est psychiatre, responsable de l’unité d’art-thérapie au sein de l’hôpital parisien Sainte-Anne. Elle assure également la responsabilité scientifique du musée dédié à la création asilaire. Quand la psychiatrie rencontre l’histoire de l’art…
Les ateliers se multiplient, la demande des patients augmente… Du traitement de l’anxiété à celui de la schizophrénie, l’art-thérapie connaît depuis une trentaine d’années un engouement croissant au sein des institutions de soins. Utilisées dans le champ psychiatrique, les techniques de l’art-thérapie, dites « psychothérapies à médiation artistique », pourraient aussi changer notre regard sur l’altérité. Et nos peurs envers la folie… Pour en savoir plus sur cet art aux contours encore flous, nous sommes allés à la rencontre d’un médecin psychiatre, le docteur Anne-Marie Dubois, en charge de l’unité d’art-thérapie à la Clinique des Maladies Mentales de l’Encéphale. Au cœur de l’hôpital parisien Sainte-Anne, cette clinicienne est également responsable scientifique du Musée d’Art et d’Histoire, dont la création remonte à la fin du XIXe siècle. On lui doit de nombreuses expositions, en qualité de commissaire, dont « Les Unes et les Autres », « Psilocybine » ou « Elle était une fois », consacrée à la Collection Sainte-Anne (accrochage jusqu’au 28 février 2018). Des enjeux thérapeutiques à l’engagement esthétique, Anne-Marie Dubois revient sur cet « art psychopathologique ». Elle évoque pour nous cette pratique singulière, aux frontières de la maladie mentale et de l’histoire de l’art. Entretien.
Avec l’exposition « Elle était une fois », vous revenez sur l’histoire de la collection de l’hôpital Sainte-Anne. Quelles en sont les grandes lignes ?
Les œuvres les plus anciennes datent de 1858. Au XIXe siècle déjà, un certain nombre de psychiatres et d’artistes se sont intéressés à ces productions spontanées de malades, au sein des hôpitaux. Des malades qui découvraient pour certains, par hasard, que cette activité leur plaisait, ou qui, pour d’autres, étaient déjà installés dans une pratique artistique avant d’être hospitalisés. À une époque où les hospitalisations étaient longues, on a pu qualifier cet art d’« asilaire » – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Plus tard, des psychiatres tels que Marcel Réja, par exemple, ou encore le docteur Auguste Marie, se sont particulièrement penchés sur ces productions… et les ont collectionnées. Nous pouvons également citer Cesare Lombroso, en Italie, qui a rassemblé des œuvres provenant d’hôpitaux. Parfois, les médecins encourageaient leurs patients, mais il ne s’agissait alors, en aucune façon, d’œuvres réalisées dans des ateliers ; la création n’était pas organisée comme une activité thérapeutique. Les psychiatres du début du XXe siècle, pour certains, ont aussi collectionné ces œuvres. Sainte-Anne, entre les années 1920 et 1945, était un lieu culturel important, où se réunissaient des psychanalystes, des psychiatres de premier plan, des écrivains… André Breton connaissait Gaston Ferdière [ NDLR : le psychiatre d’Antonin Artaud ]. Culturellement marquée, Sainte-Anne, à ce moment-là, était une vraie cité des arts. C’est dans ce contexte, et après une première exposition d’œuvres spontanées, en 1946, que les psychiatres de l’époque ont participé à un double événement simultané. Le premier Congrès mondial de psychiatrie, en 1950, d’un part, et l’« Exposition internationale d’art psychopathologique », d’autre part, qui regroupait les productions de seize pays ayant participé au congrès, avec des œuvres venues d’Angleterre, des États-Unis, du Brésil, de Serbie, d’Inde…