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mardi 5 mars 2024

Lenny Pamart, l’ancien collégien harcelé qui a transformé son calvaire en outil de résilience pour d’autres élèves

Publié le 26 février 2024

Par  (Bruxelles, correspondant)

« La Relève ». Chaque mois, « Le Monde Campus » rencontre un jeune qui bouscule les normes. A 27 ans, Lenny Pamart, président fondateur de l’ONG Campus Watch, vouée à la prévention des violences entre élèves, raconte comment il a transformé son propre calvaire à l’école en outil de résilience pour les autres.

Lenny Pamart, en uniforme de son ONG Campus Watch, lors d’une intervention auprès des élèves de primaire de l’Institut Emmanuel-d’Alzon, à Nîmes, en janvier 2023.

Son histoire est terrible mais, désormais, il la raconte sans verser une larme. Un récit banal, peut-être, pour les milliers de jeunes qui, comme lui, ont connu le harcèlement, les moqueries, les coups au collège ou au lycée, mais surtout très poignant quand un homme de 27 ans détaille posément ce qui l’a conduit aux portes de la mort. C’est toutefois l’incroyable résilience dont il a fait preuve ensuite qui impressionne le plus : Lenny Pamart a su transformer sa souffrance en un projet susceptible, aujourd’hui, d’aider tous ceux qui ont vécu l’enfer scolaire.

Le jeune homme est à Bruxelles ce jour-là. Il partage ses expériences et son projet, Campus Watch, son organisation non gouvernementale (ONG) accréditée auprès des Nations unies, avec des spécialistes belges. Car Lenny Pamart en a fait du chemin depuis sa première année au collège Georges-Brassens de Lattes, dans l’Hérault, le lieu de ce qu’il appelle son « année noire », de son« traitement de choc » : aujourd’hui il peut, lors de ses missions, porter un uniforme beige siglé « ONU » et arborer fièrement le badge qui lui permet de pénétrer dans les bâtiments des Nations unies, à Genève, New York ou Vienne.

C’est depuis ces endroits que, devenu président de son ONG, il milite inlassablement pour ce qu’il appelle « des climats scolaires sains et positifs ». Sécurité, écoute des émotions et espaces consacrés à cette fin, liberté individuelle, combat contre les discriminations, bien-être, respect des rythmes : ce sont quelques-uns des vingt-quatre objectifs inscrits dans une convention qu’il est parvenu à faire adopter à Genève, en 2021, par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies. L’année suivante, Campus Watch introduisait une demande pour instaurer une très symbolique « journée mondiale des climats scolaires ».

« C’est lui, M’sieur, c’est le bègue ! »

La charte de l’ONG prône « une école équitable qui respecte les droits des résidents et gère les litiges ». En résumé, tout ce que n’a pas connu le petit Lenny, qui, une fois devenu un grand adolescent, a raconté son histoire dans un livre paru en 2013 : Arrêt demandé (Publibook) est le témoignage, aussi sobre que brutal, d’une de ces différences qui, comme l’écrivait Stendhal, peuvent « engendrer haine ». Car Lenny bégaie depuis qu’il a 4 ans. Un handicap qu’il a combattu jusqu’à le rendre presque imperceptible aujourd’hui mais qui, écrivait-il, le suivait partout à l’époque. Et que les autres ne manquaient jamais de lui rappeler, sarcasmes, insultes et brutalités à la clé.

Au collège, après un cours d’anglais au cours duquel avait été diffusé Harry Potter à l’école des sorciers, des élèves lui trouvèrent un surnom : « Professeur Quirrell », l’un des personnages du film, qui souffre de bégaiement. Tout l’établissement allait, dès lors, appeler ainsi le garçon, renforçant son isolement, sa solitude, sa totale incompréhension. Car Lenny n’osait se confier ni aux enseignants ni à ses parents. Il était traqué dans l’enceinte de son collège et en dehors.

Arrêt demandé est aussi, en effet, le récit de ces trajets en bus à la sortie des cours : des petits malins appuyaient systématiquement sur le bouton d’un arrêt où personne ne débarquait jamais. Jusqu’à excéder le chauffeur qui, finalement, refusait de redémarrer tant qu’un passager ne se dénoncerait pas et descendrait. « C’est lui, M’sieur, c’est le bègue ! », criaient les gamins en montrant Lenny du doigt. Obligé de marcher jusque chez lui, il était, sur le chemin, attendu par ses bourreaux qui le jetaient au sol, ou dans les ronces, et le frappaient. Un soir, quasiment étouffé, il s’est évanoui. Une fois arrivé chez lui, empli de colère et de haine, il déversait sa mauvaise humeur sur ses parents, en pleine incompréhension face à cet enfant jusque-là jovial et aimant. Mais incapable de leur raconter ce qu’il subissait quotidiennement, trop fragile pour se défendre, s’accusant lui-même d’être responsable de ce qui lui arrivait, comme le font en général les victimes de harceleurs. « Un mot que je ne connaissais pas, qui n’existait pas », dit-il.

« J’étais rempli de tristesse et en pleine détresse », se souvient Lenny Pamart. Au point, un jour, de s’emparer d’une corde dans le garage et d’organiser sa pendaison. « Pardon pour ce que j’ai fait, mais je n’avais plus d’autre choix. Vous n’y êtes absolument pour rien. Je vous aime tellement et j’ai eu de la chance de vous avoir », avait-il écrit sur un bout de papier.

Un « Jacky, à table ! » miraculeusement crié par sa mère quelques secondes avant que le pire ne survienne allait tout changer. Jacky ? C’était son prénom à l’époque, celui qu’on lui avait donné pour honorer son grand-père. Plus tard, pour se détacher de ses souvenirs et du prénom d’un homme qui comprenait mal son bégaiement, Jacky a opté pour « Lenny », allusion à Lennie, héros de la littérature préféré de sa maman et personnage de l’écrivain américain John Steinbeck dansDes souris et des hommes (1937). Lennie est, dans le roman, un colosse qui nourrit une passion pour la douceur et les petits animaux, qu’il aime caresser. Longtemps, le seul confident de Jacky-Lenny Pamart a été un doudou, qu’il lui arrive encore d’introduire clandestinement à l’ONU…

Repérer les enfants en difficulté

Après Lattes et ce suicide évité de justesse, tout allait changer. Un déménagement familial et l’arrivée dans un collège bienveillant, à Meaux (Seine-et-Marne), puis le passage dans un lycée où Lenny Pamart allait devenir délégué de classe, le tout couplé au traitement efficace d’un orthophoniste, ont modifié la trajectoire du jeune homme. « Je me suis accepté tel que je suis », écrivait-il en 2013, confiant son projet de devenir professeur d’histoire-géographie, ou magistrat, deux métiers où la parole joue un rôle-clé.

C’est finalement sa volonté d’épargner à d’autres, beaucoup d’autres, ce qu’il a vécu qui a pris le dessus. La présence, depuis dix ans désormais, de Campus Watch dans des écoles primaires et secondaires, en France, en Suisse, en Belgique et depuis peu en Italie, a sans doute permis à beaucoup d’adolescents d’échapper à la détresse et d’apprendre correctement, car le harcèlement perturbe évidemment la scolarité. L’espoir de l’organisation est, désormais, d’étendre son action à tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, à l’Afrique et au Proche-Orient, avec des programmes adaptés.

Pour son action, l’ONG forme des médiateurs, des enquêteurs et des auxiliaires des climats scolaires, capables d’identifier, d’évaluer et de résoudre les problèmes de harcèlement. L’une de ses actions très concrètes est de repérer les enfants en difficulté. Pour cela, la cour de récréation est divisée en zones d’activités, statiques d’un côté, dynamiques de l’autre. Et en parties colorées permettant de distinguer les activités ludiques, sportives, artistiques, écologiques et « calmes ». La détection est étonnamment rapide : les élèves victimes de harcèlement s’isolent dans les zones calmes. « Il faut neutraliser les angles morts dans les écoles », explique Lenny Pamart.

Qui sait trop bien de quoi il parle : ceux qui le brutalisaient l’attendaient dans les recoins, la salle des casiers ou les cages d’escalier. « Il y avait toujours un moment où j’étais seul, et ils le savaient. » Collaborateur scientifique de Campus Watch et de diverses institutions, le professeur belge Jean-François Horemans, qui enseigne la psychopédagogie à Namur, se dit « très impressionné » par le parcours du jeune Français. « [Le psychiatre] Boris Cyrulnik dit que ce qui compte est ce que nous faisons de ce que les autres ont fait de nous, explique-t-il. Lenny Pamart transforme la souffrance des coups reçus, adolescent, en une démarche généreuse, profondément humaniste, très précise et d’une grande intelligence. Son engagement lui a permis de la porter au niveau des Nations unies et il partage cet héritage avec les adolescents d’aujourd’hui. Il est simple, humble, bosseur, fraternel, à l’écoute et dans le soin des autres. »


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