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dimanche 10 mars 2024

Essai «Sept Vieilles Dames et la Mort», aux rivages de l’âge

par Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste   publié le 7 mars 2024

La cardiologue Véronique Fournier dresse une galerie de portraits de femmes très âgées et réfléchit sur le faire mourir au bout de la vieillesse.

On ne sort pas indemne de cet ouvrage captivant, qui traite de la mort au bout de la grande vieillesse aujourd’hui. Or le projet législatif sur la fin de vie, qui concerne les cas de personnes plus jeunes atteintes de pathologies lourdes, ne s’intéresse aucunement à ce moment-là. En 2023, plus de 30 000 centenaires vivent en France, chiffre qui augmente constamment avec l’allongement de la longévité, et quatre sur cinq sont des femmes. La cardiologue Véronique Fournier, qui a fondé le Centre d’éthique clinique de l’AP-HP et présidé le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, connaît parfaitement les dilemmes éthiques qui se posent inévitablement dans la grande vieillesse : faire mourir ou laisser mourir.

L’originalité de Sept Vieilles Dames et la Mort tient à sa forme : Véronique Fournier a suivi et accompagné six femmes très âgées qu’elle raconte sous forme d’histoires, de manière incisive, humoristique souvent, et qui sont parfois tissées en mode «policier», en maintenant un suspense, la suite n’arrivant qu’après de nombreuses pages. Dans les 24 épisodes de la vie et la mort de ces personnes, elle s’est impliquée personnellement, y compris en se rendant dans des Ehpad où elle a parfois engagé un dialogue serré, souvent efficace, avec les équipes. Ces six femmes aux parcours de vie très différents ont en commun une origine sociologique et historique commune : nées dans les années 30 elles se sont inscrites dans la veine féministe et émancipatrice du XXe siècle. Le terme d’autonomie est un maître-mot pour la plupart d’entre elles, dit Véronique Fournier dans le magnifique et dernier chapitre «Printemps 2022». On y découvre aussi la septième vieille dame qui n’est autre qu’elle-même. Non pas qu’elle ait atteint un âge canonique, mais parce qu’elle se pose sans doute aussi la même question que nombre d’individus au-delà de la mi-vie : «Comment envisager une mort qui soit en cohérence avec la vie que j’ai menée ?»

«Présence professionnelle rassurante et solidaire»

Ces six femmes sont en quelque sorte des pionnières car elles n’ont jamais été aussi nombreuses à atteindre un si grand âge. Certaines ont noué des liens entre elles grâce à l’autrice. On se délecte de ces histoires qui sont autant de chapitres, dont «Annette et Reinette partent bras dessus, bras dessous au pays de l’euthanasie», ou encore «Simone m’adresse Josiane son amie, lourdement handicapée», mais aussi «Où je suis sollicitée à propos de Marcelle, voisine d’Ehpad de Solange» sans oublier «Annette marie sa petite-fille» et puis «Annette décide de tirer sa révérence»… Une galerie de vrais récits, vivants, ose-t-on préciser, et en même temps emblématiques. En tant que médecin, l’autrice n’évite pas la question de savoir quoi faire face aux demandes d’aide de ces femmes et de leur famille, là où le corps médical se retranche habituellement derrière sa déontologie. Et l’anticipation est périlleuse : «Sait-on jamais comment les choses se présenteront concrètement pour soi in fine ?» écrit Véronique Fournier qui, d’expérience, constate que les directives anticipées n’ont servi à rien à celles qui s’étaient exprimées. L’important sur le sujet de l’anticipation est, selon elle, de trouver un interlocuteur : «Une présence professionnelle rassurante et solidaire qui permette de ne pas se sentir seul(e) face à cette béance de l’avenir angoissant, car potentiellement sombre et difficilement prévisible que représentent pour la plupart l’arrivée au seuil de la très grande vieillesse et la perspective d’une mort prochaine.» La parole plus que l’écrit.

Véronique Fournier, Sept Vieilles Dames et la Mort, Michalon «Essais», 350 pp.


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