par Eric Favereau publié le 12 mars 2024
Ce n’est plus du frémissement, c’est un torrent d’optimisme (et donc d’argent) qui se forme autour des nouveaux médicaments contre l’obésité. De quoi rassurer au passage le milliard d’individus touchés par cette pathologie dans le monde, selon la dernière estimation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais de quoi inquiéter bon nombre d’experts qui, au regard du passé, se rappellent les précédents concernant des coupe-faim, certains se demandant même si un nouveau scandale du Mediator n’est pas à craindre.
Le passé est, en effet, lourd de leçons – pour le dire simplement, un défilé de fiascos. «Sur une trentaine de médicaments lancés dans les cinquante dernières années contre l’obésité, la quasi-totalité ont été retirés en catastrophe, faute d’intérêts cliniques, et surtout en raison pour la plupart d’effets secondaires», nous rappelle un spécialiste de pharmacovigilance. Mais reprenons le fil de cette épopée pharmacologique, et d’abord restons sur le volet «belle histoire».
Comme toujours, cela a commencé par la découverte d’une nouvelle classe de molécules ayant des effets bénéfiques contre le diabète de type 2. Le Wegovy, qui fait fureur, n’est, en effet, pas une nouveauté à proprement parler. Il découle de l’Ozempic, un médicament destiné uniquement au diabète de type 2, débarqué aux Etats-Unis en 2017 puis mis sur le marché français en 2019. Ce médicament mime l’action d’une hormone que les intestins sécrètent naturellement : le GLP-1. Cette hormone permet notamment de réduire la glycémie en stimulant la sécrétion d’insuline, raison pour laquelle l’Ozempic est utilisé par les diabétiques de type 2. Mais ce n’est pas tout, elle a pour effet annexe de réduire l’appétit en renforçant la sensation de satiété. Observé sur cette indication, le médicament a montré une efficacité assez spectaculaire, faisant perdre aux patients, dans certaines études, 5 à 20 % de leur poids, cela après un an de traitement. Prouesse de taille, même si la chirurgie bariatrique permet une perte supérieure. Prouesse néanmoins à relativiser dans la mesure où, à l’arrêt du traitement, les kilos reviennent.
Marché colossal et valorisation boursière
Insistons sur le fait que cette caractéristique de coupe-faim a donc été découverte fortuitement. Ce qui a fini par attirer l’attention des industriels et surtout celui du laboratoire pharmaceutique Novo Nordisk. C’est de cette façon qu’est né le Wegovy, variante marketing de l’Ozempic précédent. Les deux ne se distinguant au final en rien, juste par leur indication et par des dosages différents. Dans les deux cas, cela se présente sous la forme d’un stylo avec une dose préremplie à injecter sous la peau, au niveau de l’abdomen, de la cuisse ou du haut du bras. On assiste donc à la répétition de la même histoire que pour les coupe-faim du siècle dernier, les industriels élargissant peu à peu leurs indications pour sortir du monde limité du diabète et entrer dans le marché colossal de l’obésité. Au passage, cette molécule vient de montrer qu’elle pouvait également prévenir des accidents cardiovasculaires chez les diabétiques. Début mars, elle a ainsi été autorisée en lien avec cette indication aux Etats-Unis. «Wegovy est désormais le premier médicament pour la perte de poids à être également autorisé pour aider à prévenir des accidents cardiovasculaires potentiellement mortels chez ces patients en surpoids», a pu se féliciter un responsable de l’agence américaine des médicaments.
Vu le marché, on le devine, l’arrivée de ces molécules a totalement fait exploser le portefeuille du premier de ses fabricants, à savoir le laboratoire danois, Novo Nordisk. Comme le notait, le Monde, le dimanche 10 mars, sa valorisation boursière a atteint 566 milliards d’euros, dépassant même celle de Tesla – en 2023, ledit laboratoire a engrangé 5,6 milliards d’euros grâce au Wegovy. Rarement des blockbusters ont rapporté autant d’argent sur une seule molécule. Voilà donc pour le volet conte de fée.
De vertiges jusqu’à la pancréatite aiguë
En matière d’effets secondaires, ces médicaments ne sont évidemment pas sans risque. Les plus fréquents de ces effets sont des symptômes gastro-intestinaux. Les patients peuvent présenter des nausées au début du traitement, parfois des vertiges, de la tachycardie ou encore des calculs biliaires et, de manière très exceptionnelle, le médicament peut entraîner une pancréatite aiguë. Ce n’est pas terrible, mais cela reste… supportable. Reste la question essentielle des effets sur le long terme. Ils ne sont évidemment pas encore connus. Or, ce type de molécule peut avoir de graves conséquences longtemps après sa prise. En France, avec les affaires passées du Médiator et autres coupe-faim, les autorités ont de quoi légitimement s’inquiéter. Elles se montrent publiquement vigilantes. Et répètent que le médicament va faire l’objet d’une surveillance renforcée, avec la création d’un comité scientifique temporaire. Certes. Mais bien des questions demeurent. Quel prix ? Pour quel type de patients ? Les critères de prescription n’ont pas encore été précisés. Depuis août 2022, le Wegovy disposait de ce que l’on appelle une autorisation d’accès précoce, mais il était réservé aux personnes ayant un IMC (indice de masse corporelle) supérieur à 40 kg/m² et au moins un facteur de comorbidité. Aux Etats-Unis – où il est déjà pleinement disponible –, les règles sont beaucoup plus souples. Il est destiné aux personnes de 12 ans et plus, obèses (IMC supérieur ou égal à 30) ou en surpoids (IMC supérieur ou égal à 27), mais qui présentent également au moins un autre problème de santé (prédiabète, hypertension artérielle, cholestérol, apnée du sommeil). Ce sont aussi les critères prévus par son autorisation de mise sur le marché européen.
On en est là. Sans vouloir faire le rabat-joie, notons qu’il y a déjà un marché parallèle. En 2021 et 2022 selon l’Assurance maladie, 2 185 personnes ont ainsi reçu de l’Ozempic alors qu’elles n’étaient pas diabétiques. Et, surtout, la perception du surpoids reste problématique. Faut-il rappeler qu’être en surpoids n’est pas forcément mauvais pour la santé, comme l’a de nouveau indiqué une étude parue en juillet 2023 dans la revue Plos One – une personne en surpoids sans être obèse présente un taux de mortalité légèrement inférieur aux personnes dans la fourchette de poids jugée idéale par l’OMS. Or, ce sont ces personnes-là qui risquent de succomber à la mode de ces nouveaux médicaments. Et qui risquent de passer à travers le filtre de la pharmacovigilance. En espérant, pour elles, que la perte de quelques kilos ne se traduise pas au final par de gros ennuis, cette fois-là, de santé.
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