Publié le 07 juin 2023
Par Mattea Battaglia
Le ministre de la santé, François Braun, se donne seize mois pour refonder le métier. Le décret qui l’encadre va être réécrit, d’ici à 2024, pour privilégier une approche par « missions » et pas seulement par « actes ». L’occasion d’une montée en compétences pour la profession, à l’heure où les déserts médicaux progressent.
Dans un système de santé en crise, c’est un « maillon essentiel » que le gouvernement a annoncé remettre en jeu. Et, même, remettre au centre de l’offre de soins : à l’heure où se fait durement sentir le manque de médecins, le ministre de la santé, François Braun, a promis de réformer ce métier qu’exercent quelque 650 000 infirmiers pour leur confier de nouvelles missions, revoir leurs perspectives de carrière et de formation.
« Investir dans l’avenir de cette profession est une nécessité », a défendu le ministre en conclusion d’un séminaire organisé avenue de Ségur, le 26 mai, en précisant que « cette refondation devra aboutir en septembre 2024 ». Un second séminaire devait se tenir le 7 juin en présence des directeurs de tous les instituts de formation en soins infirmiers de France.
La date butoir peut sembler lointaine, alors que le décret qui définit les actes infirmiers n’a pas été modifié depuis presque vingt ans. Entre-temps, les soins et techniques ont évolué, les besoins d’une population vieillissante ont augmenté. « On veut être ambitieux… et réalistes », a justifié Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins au ministère de la santé, devant un parterre d’infirmiers venus assister, le 22 mai à Paris, à un colloque sur l’évolution de la profession organisé par leur ordre. « Ce chantier d’envergure demande de revoir toute l’architecture, d’avancer de concert sur le volet des compétences et de la formation », a-t-elle aussi rappelé.
Plus de responsabilités
Le coup d’envoi a été donné les 11 et 12 mai, dans une relative discrétion, avec l’organisation au ministère de la santé d’un « atelier » réunissant une trentaine d’infirmiers venus de toute la France. Les organisations représentatives, elles, n’y étaient pas. Un « oubli » que le séminaire ministériel du 26 mai est venu rattraper. « Ce premier temps d’échange a permis de tester la méthode, fait-on valoir au cabinet de François Braun. Il est maintenant prévu un temps de travail avec l’ordre, les associations et les syndicats, ainsi qu’une concertation impliquant les professionnels, les étudiants et les patients. »
Voilà pour la méthode et le calendrier. Les infirmiers ont déjà obtenu des avancées vers plus d’autonomie et de responsabilités, le gouvernement et la majorité présidentielle faisant feu de tout bois, depuis des mois, pour parvenir à décharger les médecins d’un certain nombre de compétences qui pourraient être prises en charge par d’autres professionnels de santé. Une « délégation de tâches » dont l’exécutif a fait un levier de sa lutte contre les déserts médicaux et les inégalités d’accès aux soins, sûr que la solution passe moins par la contrainte à l’installation des médecins – un « chiffon rouge » – que par une meilleure coordination entre soignants, dont les infirmiers, et une « montée en compétences » de ces derniers.
Une logique inscrite au cœur de la loi portée par la députée Renaissance du Loiret Stéphanie Rist : adoptée mi-mai après d’âpres débats, elle a introduit un « accès direct » – sans passer chez le médecin – aux infirmiers en pratique avancée (diplômés à bac + 5 plutôt qu’à bac + 3), aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes. Un virage symbolique : cette autonomie reste très encadrée, limitée à ceux exerçant au sein d’équipes de soins ou de centres de santé. Une large frange de médecins a fait entendre ses réserves, voire sa franche opposition. Les infirmiers, eux, ont soutenu la disposition, qui coïncide avec la remise en jeu du périmètre de leur action.
« Réglementation obsolète »
Un coup de billard à plusieurs bandes, donc. « La cartographie démontre qu’il n’y a pas de désert infirmier, martèle Patrick Chamboredon, président de l’ordre national des infirmiers. Nous avons la possibilité de prendre en charge, en tout point du territoire, y compris dans les lieux les moins bien pourvus en médecins, davantage de patients et davantage d’actes. » A condition, donc, de dépoussiérer le décret socle de 2004 qui encadre strictement chaque acte de soin qu’un infirmier peut faire : soins préventifs, curatifs, palliatifs, relevant du champ de la santé mentale, etc. Certains en pratique autonome, comme les soins d’ulcères ou d’escarres, ou encore les vaccinations. D’autres sur prescription médicale, comme les injections de médicaments. Un « cadrage très français », relèvent les connaisseurs.
C’est un chantier que l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn s’apprêtait à lancer avant la crise due au Covid-19. Son successeur, Olivier Véran, s’y était aussi engagé en son temps. François Braun s’y attelle, donc, pour « passer à une approche plus agile, autour de grandes missions », ce qui permettrait de donner une définition moins limitative du métier, sans pour autant se passer des actes sur lesquels repose aussi, pour les infirmiers comme pour les médecins, son modèle économique.
« Il y a une forme d’urgence, réagit Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers. Nos compétences légales sont aujourd’hui très en dessous de nos compétences réelles. La France dispose d’une armée d’infirmiers bridée par une réglementation obsolète. » « Evoluer vers une approche par grandes missions, en faisant notamment plus d’éducation à la santé et de prévention, nous semble essentiel, souligne John Pinte, du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Mais sans abandonner pour autant les actes : ils sécurisent le métier. »
« Cache-misère »
Les grandes manœuvres qui s’annoncent autour du texte juridique ne rencontrent pas, toutefois, une adhésion unanime. Dans les rangs syndicaux et/ou les cabinets de libéraux, beaucoup disent redouter que, sans définition claire de ce que peuvent faire – ou ne pas faire – les infirmiers, la « subordination » à l’égard des médecins en sorte « renforcée ». D’autres, qu’ils y perdent à la « redistribution des tâches », que certains actes soient « récupérés » par les aides-soignants, les pharmaciens… Ou encore que la réforme serve de « cache-misère » à la crise du métier.
Car cette réforme, également présentée comme un levier de revalorisation et d’attractivité, intervient dans un contexte de tensions aiguës et d’une dégradation, reconnue, des conditions de travail : selon un sondage diffusé par l’ordre national des infirmiers, cet automne, près d’un tiers des participants (29 %) envisageraient de quitter le métier dans l’année.
Dans les faits, et au fil des ans, leurs responsabilités ont déjà beaucoup évolué : pour déroger à la réglementation, les infirmiers ont la possibilité de contractualiser un « protocole de coopération » avec un médecin. Cela permet, pour un acte déterminé, d’aller au-delà du décret en le déléguant du médecin à l’infirmier. Il en existe à ce jour 37 impliquant la profession, chiffre-t-on au cabinet du ministre, où l’on veut y voir un signe que les esprits sont mûrs pour le changement.
Celui-ci a aussi été amorcé par d’autres voies : le budget de la Sécurité sociale pour 2023 a, par exemple, confirmé l’élargissement de leurs compétences en matière de vaccination (compétences que la crise liée au Covid-19 avait mises en lumière), et autorisé une expérimentation leur permettant de signer des actes de décès. La loi Rist a, elle, consacré leur savoir-faire dans le traitement des plaies de cicatrisation, en les autorisant à prescrire des examens complémentaires et produits de santé nécessaires.
D’autres propositions de loi sur l’accès aux soins s’annoncent, à commencer par celle du député Horizons de Seine-et-Marne Frédéric Valletoux, qui arrive à l’Assemblée. Avec elle, il y aura peut-être aussi, soufflent les infirmiers, la possibilité, par la voie d’amendements, de « faire sauter d’autres verrous ».
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