Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 8 août 2022
Au premier trimestre 2022, les juges ont prononcé 30 % de TIG de moins qu’au premier trimestre 2019. Un résultat aux antipodes des objectifs de la réforme des peines de 2019. Le phénomène n’alerte pourtant pas la chancellerie.
Les chiffres sont spectaculaires et le constat contre-intuitif. Le travail d’intérêt général (TIG), dont le développement était un des marqueurs de la philosophie d’Emmanuel Macron en matière de sanction pénale et un objectif de ses ministres de la justice successifs, est de moins en moins prononcé en France. Au premier trimestre 2022, les tribunaux ont adressé aux services pénitentiaires d’insertion et de probation 5 700 mesures de travail d’intérêt général à faire exécuter. Selon les statistiques du ministère de la justice, c’est 30 % de moins qu’au premier trimestre 2019 (8 106).
En stock de mesures suivies, la baisse régulière du recours à cette sanction parée de toutes les vertus pour les petits délinquants se constate avec un léger décalage dans le temps. Au 1er mars 2022, les services pénitentiaires recensaient 27 114 TIG en attente ou en cours d’exécution, 26 % de moins qu’au printemps 2019.
A cette époque était votée au Parlement la loi de programmation et de réforme de la justice défendue par Nicole Belloubet. L’étude d’impact de cette loi du 23 mars 2019 chiffrait à 4 000 le nombre de TIG supplémentaires auquel il fallait s’attendre chaque année. Fort de cette ambition, le gouvernement d’Edouard Philippe avait même confié au député de la majorité Didier Paris (Côte-d’Or) et au patron de start-up David Layani une mission de préfiguration qui devait déboucher sur la création d’une agence nationale du TIG. Directement rattachée au garde des sceaux, cette entité, rebaptisée « Agence nationale du TIG et de l’insertion professionnelle (Atigip) » a bénéficié d’un appui décisif, étant suivie par l’Elysée parmi les politiques publiques prioritaires du premier quinquennat.
Effets pervers de la réforme
Comment alors expliquer un résultat aux antipodes de l’objectif recherché ? Au ministère de la justice, on dédramatise. « Il faut nous laisser un peu de temps. Il y a un phénomène d’acculturation des juridictions face à une réforme d’ampleur des peines entrée en vigueur en plein confinement, en mars 2020 », explique-t-on. Pourtant, d’autres éléments de ce même « bloc peine » semblent avoir été digérés par les magistrats, comme la hausse du recours à la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) ou l’aménagement de la peine dès l’audience correctionnelle.
Autre facteur avancé par la chancellerie, le remplacement dans l’échelle des peines du sursis-TIG par le sursis probatoire avec obligation d’effectuer un TIG, « plus lourd, donc sans doute moins facilement prononcé pour des petites infractions ». Dans le nouveau dispositif, l’épée de Damoclès de la prison avec sursis pèse généralement pour une durée de trois ans, voire cinq ans, tandis que, dans le précédent régime, elle disparaissait dès le TIG effectué.
L’essentiel de l’explication est à chercher ailleurs. Ou plutôt dans cette même réforme, dont un effet pervers n’avait manifestement pas été anticipé. Pour lutter contre les courtes peines de prison d’un à six mois, jugées désocialisantes (perte d’emploi, de logement, etc.) et empêchant un vrai travail d’accompagnement en vue de la réinsertion, la règle veut désormais qu’elles soient aménagées dès l’audience correctionnelle – on dit « ab initio ». Le tribunal décide de faire exécuter la peine sous forme de bracelet électronique (DDSE), semi-liberté ou placement extérieur. A la chancellerie, on se félicite de voir aujourd’hui le taux des aménagements ab initio atteindre 25 % des jugements, contre à peine quelques pourcents avant la réforme.
Résultat, cela assèche partiellement le vivier des courtes peines que le juge de l’application des peines pouvait convertir en TIG. Car il n’est pas question qu’il aménage une peine déjà aménagée par le tribunal, a précisé la Cour de cassation.
« Là où on prononçait du TIG, on prononce de l’emprisonnement aménagé en DDSE, à la demande même des intéressés et de leur avocat » – un ex-magistrat
« Les aménagements ab initio explosent, et sont prononcés en dépit du bon sens, constate Ivan Guitz, ex-président de l’Association nationale des juges de l’application des peines. Là où on prononçait du TIG, on prononce de l’emprisonnement aménagé en DDSE, à la demande même des intéressés et de leur avocat. Tout le monde sort content de l’audience. Entre se lever le matin pour aller travailler gratuitement dans une mairie ou une association et rester chez soi à regarder des vidéos ou jouer à la console, le choix est vite fait », ajoute ce magistrat qui exerçait à Bobigny. Selon M. Guitz, le travail d’intérêt général était particulièrement adapté à ce public jeune, souvent éloigné de l’emploi, et condamné à de courtes peines.
Un instrument efficace
La moitié des « tigistes » en France ont moins de 23 ans. Faire cent ou deux cents heures de TIG allie le volet peine – il faut effectuer ses heures pour éviter la case prison –, la réparation envers la société et l’aide à la réinsertion en habituant des personnes à respecter des horaires de travail, des consignes et un supérieur hiérarchique. Bref, l’instrument est considéré comme efficace dans la lutte contre la récidive à l’égard de personnes qui ne sont pas ancrées dans la délinquance.
Le débat sur la peine à l’audience se réduit donc bien souvent au choix entre la prison et le bracelet électronique. Le TIG y est peu proposé. « La prison est vue, y compris chez une grande majorité des juges, comme la seule réelle punition », sans préoccupation en termes de prévention de la récidive, dénonçait le 15 juillet, dans une tribune publiée sur Lemonde.fr, Alain Montigny, président de la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation.
Les chiffres traduisent là aussi un échec de la réforme promouvant la détention à domicile sous surveillance électronique comme une alternative à l’incarcération. La forte progression du recours au bracelet électronique par la justice pénale (15 348 personnes sous DDSE au 1er juillet 2022, soit 29 % de plus en trois ans) n’a pas empêché la croissance du nombre de détenus de se poursuivre inexorablement. Elle est venue en revanche mordre sur une alternative aux courtes peines de prison, le TIG.
Le système se développe pourtant
Cet effondrement du recours au TIG est d’autant plus étonnant et regrettable que, dans le même temps, l’agence nationale chargée de le développer remplit son contrat. L’objectif était de diversifier et d’augmenter l’offre de postes de TIG dans les organismes publics, les structures privées chargées de missions de service public, les collectivités territoriales et les associations habilitées. Ce sont 24 400 postes de TIG dans plus de 18 000 organismes (représentant 32 000 places disponibles) qui sont aujourd’hui recensés sur la plate-forme numérique TIG360°, soit une augmentation de 39 % de l’offre vérifiée en trois ans.
Soixante-douze référents territoriaux directement rattachés à l’Agence nationale du TIG et de l’insertion professionnelle ont été chargés de prospecter, déchargeant les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) de cette tâche. Quant à la plate-forme TIG360°, elle est accessible aux juges comme aux avocats, aux CPIP et aux organismes accueillant les tigistes. Elle donne la géolocalisation des postes en temps réel, avec leurs caractéristiques (horaires, accès en transports, etc.).
« Avec son côté Airbnb du TIG, cet outil parle à tout le monde », se réjouit Alexandrine Borgeaud, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Saône-et-Loire. Cela facilitera la diversification des postes choisis par les CPIP, au-delà des partenaires avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. Une convention a par exemple été signée en 2019 avec le groupement de gendarmerie de Mâcon, qui a accueilli depuis quatre tigistes. « Cela permet aussi de changer le regard des uns sur les autres », constate Claire Chaplotte, référente de l’Atigip pour les départements de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire.
Profitant de l’ouverture expérimentale des TIG aux entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, elle a par ailleurs signé avec le groupe ID’EES 21 pour y orienter des personnes ayant une problématique d’éloignement de l’emploi. En 2021, une dizaine de tigistes y ont été envoyés, et sept contrats d’insertion ont été signés dans la foulée de ces TIG. Il n’empêche, M. Borgeaud constate sur son territoire une baisse du nombre de TIG prononcés voisine de 30 %.
Le délai moyen de mise en œuvre raccourci
Au niveau national, la diversification est également un succès. Comme cette convention signée le 28 juillet par Eric Dupond-Moretti, le ministre de la justice, avec la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés. « Cela permettra de disposer de TIG adaptés à des personnes en situation de handicap, mais aussi de familiariser des tigistes aux métiers des soins à la personne », précise-t-on à la chancellerie. Quarante-quatre conventions nationales de ce type ont été conclues en trois ans. Aujourd’hui, 60 % des postes de TIG disponibles le sont dans des collectivités territoriales, contre plus de 75 % en 2019. Le TIG condamné à ramasser des feuilles mortes dans un square ne sera plus la norme.
A partir de septembre, la plate-forme TIG360° deviendra l’outil unique de travail des conseillers pénitentiaires. Les décisions des juridictions y seront versées, la préréservation du TIG s’y fera, et les éventuels incidents signalés par l’organisme d’accueil y seront enregistrés et adressés au CPIP ou au juge, en fonction de leur gravité. De quoi aussi limiter le temps entre le prononcé d’un TIG et sa mise en œuvre. Le délai moyen est déjà passé de quatorze mois à environ dix mois en trois ans. Un facteur important pour la crédibilité de la mesure aux yeux des magistrats qui la prononcent.
Reste à profiter de ces beaux dispositifs. Officiellement au ministère de la justice, « on a bon espoir que les choses s’améliorent dans les mois à venir ». Mais aucune initiative n’est prévue du côté du garde des sceaux ou de la direction des affaires criminelles et des grâces pour encourager d’une façon ou d’une autre les procureurs à requérir plus souvent cette peine. Comme si les travers de la machine judiciaire allaient se corriger d’eux-mêmes.
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