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mardi 9 août 2022

«Avec l’hypnose, on met sa vigilance de côté pour se faire du bien»




par Cécile Daumas et Sarah Krakovitch   publié le 6 août 2022

Née au XIXe siècle, cette technique, qui permet un endormissement lucide, ouvre la voie de la conscience dans un objectif thérapeutique psychique afin que le patient se libère de ses questionnements douloureux et retrouve ses profondes ressources.

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L’hypnose peut soignerelle soulage aussi, elle n’est pas qu’un spectacle vaguement drôle où un quidam perdu sur scène se fait gentiment manipuler sous les rires du public. Des chirurgiens ou des dentistes opèrent sous hypnose, technique analgésique éprouvée. Des thérapeutes atténuent stress et troubles somatiques. Conscience flottante, elle est un état dûment répertorié par la science, rappelle Marc Traverson dans les Energies de l’hypnose. Ce qui vient quand on laisse venir (Albin Michel, 2022).

Mais elle n’est pas non plus baguette magique qui transformerait la douleur en colombe. Par son mystère, l’hypnose a toujours fasciné. Ce sont les médecins qui ont inventé le mot et ont diffusé la technique. A la fin du XIXe siècle, Charcot fait des démonstrations spectaculaires à la Salpêtrière. Freud y assiste, il y mûrit son intuition de l’inconscient, raconte Marc Traverson.

Endormissement lucide, l’hypnose est un processus relationnel intentionnel stabilisé, disent précisément les médecins et psychiatres, lequel permet d’activer et d’utiliser les ressources dynamiques naturelles de la conscience vers un objectif thérapeutique psychique et ou corporel. «L’hypnose n’est pas quelque chose d’anodin, car elle touche les fondements de l’existence», affirmait François Roustang, ancien jésuite, psychanalyste passé par Jacques Lacan, figure tutélaire de la discipline en France. Hypnothérapeute venu lui aussi de la psychanalyse sous le patronage de François Roustang, Marc Traverson décrypte cette «logique floue» pas toujours facile à saisir.

L’hypnose est une pratique entourée de mystère. Elle fait même un peu peur. Une personne sous hypnose perd-elle conscience ?

Non : contrairement à une idée reçue, l’hypnose ne rend pas inconscient. Elle naît d’une certaine confusion, d’une désorientation, mais on ne s’endort pas. Pour l’atteindre, on «déconnecte» le cerveau, en l’occupant par une tâche un peu vide. Tout le monde a fait l’expérience, lors d’une soirée ou dans un café, d’avoir le regard qui s’arrête quelques instants dans le vide. C’est une forme fugace d’hypnose. Il y a plusieurs manières de parvenir à l’hypnose, fixer un objet est une technique possible.

Regarder un pendule devient vite pénible. Mais à un moment, l’esprit s’évade. Il décroche de l’environnement, des autres, de tout. C’est cet état que le thérapeute aide le patient à approfondir, parce qu’il rend possibles certains changements profonds. L’hypnose est un état dûment répertorié par la science, mais qui est parfois difficile à objectiver.

Que permet cet état spécifique ?

Ce mélange de confusion et de rêve nous plonge dans ce que François Roustang appelle la «disposition», c’est-à-dire un alliage de distraction et d’attention, qui permet de revivre une situation passée, de se projeter dans un rêve éveillé. Il devient ainsi possible de revisiter un souvenir traumatique pour apprendre à se distancier des émotions qui s’y attachent, de donner un sens différent à certains événements, de trouver des solutions inattendues à ce qui nous pose problème dans notre existence.

Je travaille beaucoup avec des images ou des mots pris dans l’univers du patient. L’hypnose est souvent utilisée pour une détente profonde. Elle est aussi un apprentissage : pour que la personne puisse apprendre à se détendre quand elle en a besoin. On met de côté sa vigilance habituelle pour la bonne cause. Pour se faire du bien.

Le travail se fait plus sur le geste que par la parole comme dans une séance de psychanalyse ?

Cela dépend. Je ne rejette pas l’analyse, mais on va partir plutôt du ressenti, des perceptions. Les mots ne sont pas forcément nécessaires. Souvent, c’est le thérapeute qui parle, et le patient qui vit son rêve, à partir de certaines évocations. Il est très important que le corps reprenne sa place. On voit aujourd’hui beaucoup de pathologies où les personnes sont comme coupées de leur corps, de leurs sensations, comme dans certains cas de burn-out. Même le sommeil n’est plus un repos, parce que le travail nous poursuit au milieu de la nuit.

L’hypnose est paradoxale. Elle est une déconnexion dont on se sert pour retrouver son unité profonde, pour que l’individu dans son entier, par le corps, reprenne sa place dans le présent. Pour beaucoup de gens, c’est un défi d’être là, de ne pas être dans ses idées mais dans son corps, ici maintenant. Le corps sait bien mieux que le cerveau ce qu’il faut pour rejoindre le courant de la vie. Et parfois un geste permet de changer quelque chose dans notre existence.

Comment retrouve-t-on cette place corporellement ?

S’il y a symptôme, c’est que quelque chose bloque, autour de quoi toute la vie finit par s’organiser. On tourne en rond. Il s’agit de rétablir une circulation de cette énergie. Une patiente avait le sentiment de porter une lourde charge familiale et professionnelle sur les épaules. Métaphoriquement, elle en prenait beaucoup sur le dos. Sous hypnose, elle s’est vue sous un joug comme un animal de trait. Elle a pu faire le geste d’ôter ce carcan.

Après la séance, elle était stupéfaite de sentir pendant plusieurs jours des courbatures à cet endroit-là. Elle s’est projetée dans une autre image, de liberté, un cheval sur une plage au galop. L’hypnose génère des rêves d’une texture toute particulière, des impressions mémorables. Nous cherchons à emmener le patient à l’endroit de sa difficulté, pour qu’il puisse la digérer, la modifier, l’incorporer autrement.

L’hypnose peut être aussi une forme d’oubli ?

En hypnothérapie, il n’est pas nécessaire que le patient se remémore tout le contenu de la séance. On favorise le fait que le travail puisse continuer de manière inconsciente, sous la surface, sans trop verbaliser, sans trop analyser. Comme le rêve, l’hypnose est à son affaire avec l’oubli. C’est sans doute pour cela qu’elle permet aussi de rappeler des capacités, des ressources que l’on croyait avoir oubliées, des énergies qui viennent de loin, de l’enfance souvent.

Les enfants connaissent bien l’hypnose, ils sont directement en prise avec ce qu’ils vivent, leur imaginaire. Pour moi, l’hypnose est un accès privilégié à l’imaginaire, qui est à la source de notre plasticité. Pour faire avec notre situation telle qu’elle est, toutes les contraintes de notre vie, pour inventer une position heureuse, il faut faire appel à l’imagination.

Téléphone, cigarette, alcool, drogue, jeux : comment travaillez-vous les addictions ?

La thérapie doit être stratégique, s’adapter à chaque patient. Le travail peut consister à déconstruire les gestes automatiques que nous faisons sans plus y penser, comme attraper une cigarette ou son téléphone. Une espèce de complexe actif se met en place autour d’un comportement répétitif qui donne un certain plaisir. Rendre conscients ces gestes permet de désamorcer l’impulsivité qui les déclenche.

A ce moment-là, on peut prendre une distance par rapport à l’addiction. On peut aussi associer des idées négatives au comportement problématique, par certaines suggestions, ou ancrer chez un fumeur le désir de connaître les sensations de plaisir associées à l’inspiration d’un air pur, léger, agréablement parfumé, etc. Toujours un travail à partir des perceptions.

Est-ce une thérapie qui fait du bien ?

C’est le but ! Mais comme toute thérapie, il faut que la personne s’engage dans son propre changement. Car ce n’est pas magique. Il faut qu’elle ose ce changement, qu’elle en ait le courage. Ce n’est pas le thérapeute qui impose le changement. Il est là pour accompagner, pour guider, accueillir ce qui émerge, proposer un cheminement. C’est une position de respect, de non-jugement. La meilleure solution est toujours celle qui vient du patient. Elle se présente toujours. Il suffit d’attendre, disait Roustang… Au thérapeute d’attraper, de cueillir cette solution quand elle se présente. On travaille avec cela.

Vous n’êtes pas là pour donner des recommandations…

L’hypnose en soi n’est ni bonne ni mauvaise, elle n’a pas de dimension morale. Elle est une aventure du corps et de l’esprit par laquelle il y a un accès possible à des ressources profondes, inconscientes. Le travail thérapeutique se fait à partir d’une relation de confiance qui s’établit, et à partir de ce qui est propre à la personne, et que parfois elle ne sait pas elle-même. C’est le principe de toute thérapie, la guérison ne survient que lorsque le patient lui-même est «cothérapeute».

L’hypnose est associée à la manipulation, parce qu’elle suppose une forme d’influence, mais c’est une influence qui nous est demandée ! On n’y est pas dans le temps long du travail psychanalytique, et le thérapeute ne peut se retrancher derrière une prétendue neutralité. En général, l’hypnose est utilisée dans un cadre de thérapie brève. Comme on le sait, la vie est courte, donc la thérapie doit être brève.

 

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