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mardi 9 août 2022

Femmes au volant : le sexisme sans frein des pubs à quatre roues

Par   Publié le 07 août 2022

« Filles de pub » (4/7). Femme au volant, danger au tournant. L’image des femmes véhiculée par les campagnes de publicité automobile a souvent été dégradante, quand elles n’étaient pas comparées pour leurs courbes à de jolies berlines.

Le vent souffle en Arizona. Thelma et Louise ont largué leur moitié le temps d’une virée en décapotable qui a sacrément mal tourné. Dans la scène finale de ce film de Ridley Scott (1991), Susan Sarandon et Geena Davis s’élancent du haut du Grand Canyon, dans un ultime et fatal élan de liberté, à bord de leur Ford Thunderbird 1966.

Campagne « The Ultimate Attraction » de BMW de 2010.

Cette épopée initiatique, devenue culte, marque un tournant dans l’histoire de la représentation des femmes au cinéma. En s’agrippant au volant, les deux copines de l’Arkansas reprennent leur destin en main. Une petite révolution dans l’inconscient collectif puisque pendant des années, qu’il s’agisse du septième art ou de la publicité, la conduite, la vitesse, le voyage, l’idée même d’évasion, étaient réservés aux hommes.

Belles carrosseries…

Les femmes, elles, aimaient les grosses voitures… ou du moins les hommes qui les conduisaient. Incapables de faire un créneau ou de changer une roue, elles distinguaient assez mal la différence entre la boîte de vitesses et le frein à main. Quand elles prenaient le volant (mort au tournant), elles préféraient être dénudées, histoire de ne pas froisser leurs vêtements. Telle a été l’image des femmes véhiculée par les campagnes de publicité automobile, qui les ont par ailleurs historiquement cantonnées au rôle de passagère, voire d’accessoire. Les jeunes hôtesses sexy des salons de l’auto ont ainsi longtemps servi d’appât pour pousser ces messieurs à l’achat.

Pourtant, la première femme a eu son permis en… 1898. Son nom (on s’accroche !) : Marie Adrienne Anne Victurnienne Clémentine de Rochechouart de Mortemart, duchesse d’Uzès, dont l’histoire a retenu qu’elle fut aussi la première femme à recevoir un PV pour excès de vitesse (elle roulait à 15 km/h). En 1926, elle fonda l’Automobile Club féminin de France – même si les courses leur étaient interdites. A l’époque, et pour encore longtemps, la supposée coquetterie des femmes et le caractère salissant de l’automobile paraissaient incompatibles. Dans les années 1960, dans les salons de l’auto, on pouvait ainsi faire barboter dans la mousse des filles à la place du moteur pour prouver l’étanchéité du véhicule. Femme-objet, toujours : pendant des années, les spots pour voitures premium comparent explicitement les courbes féminines et la carrosserie, la poitrine aux suspensions.

En 1993, un spot télé provoque un miniscandale et devient une sorte d’étalon de la pub sexiste en matière d’automobile. Dans ce film en noir et blanc pour Audi, une femme d’une quarantaine d’années, la classe incarnée¹, marche la tête haute et le regard déterminé sur un pont de la capitale. Derrière elle, une voiture roule au ralenti. En voix off (masculine), on entend : « Il a l’argent, il a le pouvoir, il a une Audi, il aura la femme. » Puis la scène se transpose dans un parc, le même conducteur freine car un ballon jaillit sur son passage. Il s’arrête et renvoie la balle à deux petites filles. La femme assiste à ce geste émouvant (il aurait pu les écraser après tout). Nouvelle voix off (féminine cette fois) : « Les hommes pensent qu’une belle voiture sert à montrer l’épaisseur de leur portefeuille, mais elle sert aussi à montrer la beauté de leur âme. » Retour sur le pont, où la femme embarque dans la berline. En voiture Simone.

« On ne retient pas que le type a une âme, mais qu’il a eu la femme grâce à sa posture sociale » – Gilles Masson, coprésident de l’agence Australie. GAD

« Cette publicité a été conçue par une femme, qui voulait faire un film antiviriliste, explique Gabriel Gaultier, fondateur de l’agence Jésus et Gabriel. L’homme au volant, ce n’est pas le type qui roule des mécaniques mais plutôt le gars normal, qui s’arrête pour aider un enfant. Il séduit par son attitude, pas parce qu’il a une grosse bagnole. »Au final, tout le monde retiendra le slogan, qui conforte l’archétype de la femme vénale en voulant le dénoncer. Pour Gilles Masson, coprésident de l’agence Australie. GAD, « on ne peut pas demander aux gens de décoder le message subliminal. On ne retient pas que le type a une âme, mais qu’il a eu la femme grâce à sa posture sociale ».

En 2014, cette publicité de l’ECF Bouscaren, à Montpellier, avait fait polémique, le patron de l’auto-école expliquant que l’expression « prendre » était courante s’agissant d’auto-stop.

Un an plus tard, la même marque allemande effectuera un virage dans l’histoire de la publicité automobile. « Audi met pour la première fois une femme au volant d’une berline, raconte Gabriel Gaultier. Le film a eu un énorme impact. Et à partir de là, tout le monde les a imités. » Comme Citroën qui, en 1998 (après, il est vrai, avoir marqué les esprits avec Grace Jones au volant d’une CX, dans le clip de Jean-Paul Goude, dès 1986), donne les clés à une femme à l’écran. Mais pas n’importe laquelle.

Des top-modèles pour vendre des modèles (d’auto)

Cette année-là, Jacques Séguéla, cofondateur de l’agence RSCG (devenue Havas Worldwide), a une idée pour rebooster la marque, qui perd des parts de marché face à Volkswagen : faire deux spots pour incarner à la fois la solidité et le design glamour de la nouvelle Xsara, avec Claudia Schiffer dans le rôle-titre. Le publicitaire convainc la top-modèle en fin de carrière en lui disant : « Si tu veux faire du cinéma, prouve-le. » Le visage le plus cher de la planète accepte de faire un crash-test à 40 km/h dans le désert de Las Vegas pour démontrer la fiabilité des airbags. Elle tient à tourner la scène elle-même. « Elle finit par sortir sans une égratignure en caressant le toit, comme si c’était son amant. » Ce geste n’était pas prévu dans le scénario. Bingo !

Mais c’est une autre « cascade » qui a marqué les esprits : un effeuillage, en talons, dans une descente d’escalier en colimaçon. Le but cette fois-ci pour Claudia étant d’arriver en sous-vêtements jusqu’à sa voiture. Le spot se termine par un jeté de culotte en dentelle par la vitre. Le slogan : « Elle vous ira si bien cet hiver. » Jacques Séguéla concède que le film a peut-être mal vieilli. « Aujourd’hui, ça peut paraître ridicule. Mais à l’époque, ça faisait rêver et ne choquait personne. On voulait mettre un peu d’humour, en gardant le côté sexy. La pub, ça doit aussi être du spectacle », assure celui qui a appliqué le premier les recettes hollywoodiennes à la publicitéRésultat : un million de voitures vendues.

« Les choses se rééquilibrent. Il y a désormais autant de femmes que d’hommes qui achètent des voitures » – Christophe Lichtenstein, Romance Agency

Aujourd’hui, plus l’ombre d’un homme au volant, comme s’ils s’étaient tous mis au vélo électrique. « Les choses se rééquilibrent, explique Christophe Lichtenstein, patron de l’agence Romance. Il y a désormais autant de femmes que d’hommes qui achètent des voitures. Les petites urbaines sont en expansion, et le phénomène de la deuxième voiture s’est démocratisé. Assez naturellement, on met donc des femmes au volant dans les publicités. Audi, par exemple, est devenue une marque progressiste : ils sont en avance sur l’électrique, insistent sur la représentation de femmes puissantes, la diversité. Et ça fonctionne commercialement. »

En 2019, Volkswagen s’était pris un rateau avec cette publicité jugée rétrograde.

Gabriel Gaultier renchérit : « Toutes les pubs de voitures aujourd’hui sont internationales. Avant, il y avait un humour et une culture locale qui pouvaient être mis en avant. Ce n’est plus possible aujourd’hui, il faut lisser le discours, le mondialiser. On va filmer dans des environnements non reconnaissables, avec plutôt des femmes métisses ou des couples mixtes. »En 2022, Volkswagen (qui avait fait un bad buzz, en 2019, avec son slogan « Faites en sorte que l’amant de votre femme, ce soit vous ») a ainsi mis au volant une quinqua borgne. Audi a choisi l’actrice Janelle Monae, soutien de Black Live Matters, se revendiquant non binaire, et la créatrice de mode Stella McCartney, 51 ans, comme égéries cette année. En hiver comme en été, Claudia Schiffer peut se rhabiller.


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