B. SAMSON,
Groupe de Pédiatrie générale (GPG), membre de l’AFIREM (Association française d’information
et de recherche sur l’enfance maltraitée), L’Haÿe-les-Roses
Depuis la commission d’audition et les recommandations publiées en 2011, les connaissances en matière de lésions induites par le secouement ont beaucoup progressé et il a paru nécessaire à la Haute Autorité de santé (HAS) et à la Société française de médecine physique et de réadaptation (SOFMER) de réunir un groupe de travail afin d’actualiser les recommandations et d’améliorer la pratique. La population concernée est celle des enfants de moins de 2 ans.
Le syndrome du bébé secoué (SBS) ou traumatisme crânien non accidentel (TCNA) par secouement est une forme de maltraitance qui touche la plupart du temps les nourrissons de moins d’un an, dans deux tiers des cas ceux de moins de 6 mois. Le diagnostic est difficile, mais il faut savoir y penser, dans tous les milieux, car chaque année plusieurs centaines d’enfants en sont victimes en France. Son incidence précise est certainement sous-estimée. Il a notamment été récemment mis en évi den - ce dans la majorité des cas une répétition des épisodes de secouement, la récidive aggravant le risque de décès ou de séquelles graves et persistantes. Il s’agit d’un important problème de santé publique, dont le coût humain et financier est considérable : en effet, la mortalité moyenne est de 20 % et la fréquence des séquelles est estimée à 75 % chez les survivants. Nous allons reprendre dans cet article quelques points développés dans ces recommandations, que nous vous engageons à consulter sur le site de la HAS.
Démarche diagnostique du secouement
Quand y penser ?
• Signes initiaux
• Les signes neurologiques doivent alerter : dans certains cas, le nourrisson fait d’emblée un malaise grave, avec ou sans convulsions. Parfois, les symptômes sont plus insidieux et retardent le recours aux soins.
• Certains signes ne sont pas spécifiques et égarent le diagnostic, parfois vers une pathologie digestive.
• La découverte de lésions d’allure traumatique, cutanées, intrabuccales, voire de fractures, doit faire absolument évoquer une maltraitance, car un bébé qui ne se déplace pas seul ne peut se faire seul une lésion traumatique et a fortiori une fracture.
• L’examen clinique doit être complet, le bébé étant nu, sans oublier de palper la fontanelle, de mesurer le périmètre crânien (PC) et d’en tracer la courbe de croissance, et de rechercher des ecchymoses, parfois peu visibles, sur tout le corps et dans la bouche.
Aucun signe n’étant spécifique, ce qui doit faire évoquer le diagnostic est l’association à des degrés divers de troubles de la vigilance, d’hypotonie, de vomissements, de convulsions, d’une modification anormale de la courbe du PC, de lésions cutanées traumatiques, voire de fractures. L’essentiel est d’y penser.
Il n’y a pas d’intervalle libre entre le secouement et les symptômes, même si le lien est parfois difficile à faire avec les premiers signes. Certains antécédents peuvent orienter vers le diagnostic, comme les pleurs incessants difficiles à calmer ayant parfois motivé des consultations. D’autre part, la description d’un traumatisme crânien minime à l’origine des signes présentés par l’enfant ou des histoires de morts inexpliquées dans la fratrie sont autant d’éléments qui doivent alerter. Si le bébé a été trouvé mort, il faut suivre les recommandations de la HAS devant toute mort inattendue du nourrisson, avec explorations post mortem (notamment fond d’œil et scanner) avant autopsie.
Que faire quand le diagnostic est évoqué ?
Quand le diagnostic est évoqué, il faut faire part aux parents de son inquiétude sur l’état de l’enfant, qu’il est indispensable d’hospitaliser en urgence, ce qui permettra à la fois de le soigner et de mener les investigations nécessaires en toute sécurité. S’il s’agit d’une fratrie de jumeaux, il faut hospitaliser les deux enfants en urgence. Le bilan hospitalier comprend la recherche de lésions observées en cas de secouement.
• Les lésions intracrâniennes
– hématomes sous-duraux (HSD), pouvant être masqués par l’œdème cérébral à la phase aiguë (cf. iconographie des recommandations : scanners et IRM) ;
– lésions cérébrales de différents types et évolutives selon l’ancienneté du secouement. • Les HSD intrarachidiens, très fortement corrélés au TCNA (versus traumatisme accidentel) et les lésions médullaires ne sont pas toujours associés à des fractures vertébrales.
• Les lésions oculaires et périoculaires :
– les hémorragies rétiniennes (HR), très rares chez le jeune enfant de plus d’un mois, ab - sentes chez le jeune enfant en bonne santé, sont très fortement corrélées au TCNA (par opposition au traumatisme accidentel) ;
– elles sont absentes dans 20 % des cas, mais leur présence est un argument fort en faveur du diagnostic de secouement ;
– leur sévérité est corrélée à celle du TCNA. Elle est appréciée par des critères permettant de caractériser les lésions en les classifiant selon leur grade (étendue en superficie), leur abondance et leur profondeur (cf. annexe 1 des recommandations) ;
– d’autres lésions oculaires ou de la cavité orbitaire peuvent exister.
• D’autres lésions associées sont à rechercher, très évocatrices de maltraitance : ecchymoses, lésions de la nuque et fractures.
Bilan clinique et para clinique
• Examen clinique complet, avec photographie des lésions traumatiques.
• Examen minutieux du carnet de santé.
• Scanner cérébral sans injection, examen de première intention en urgence.
• Pas d’indication pour une échographie transfontanellaire.
• Examen ophtalmologique avec dilatation par un ophtalmologiste expérimenté, si possible dans les 24 heures et, au plus tard, dans les 48-72 heures. Les photographies sont préconisées, permettant la télémédecine, suivi de l’évolutivité et de l’archivage.
• IRM cérébrale dès que l’état de l’enfant est stabilisé, idéalement dans la première semaine. Son intérêt est à la fois diagnostique et pronostique. Dans certains cas de doute diagnostique, l’imagerie sera complétée par une exploration cervicale et médullaire.
• Un certain nombre d’examens sur prélèvements sanguins sont préconisés, dont la recherche d’une anémie et de troubles de la coagulation.
• Les radiographies du squelette complet doivent être pratiquées en tenant compte des recommandations en vigueur et être interprétées par un radiologue pédiatrique (cf. annexe 2 des recommandations).
Diagnostic différentiel de certitude
Le principal diagnostic différentiel du TCNA par secouement est le traumatisme crânien accidentel causé par une forte décélération, type accident de la route. D’autres diagnostics sont souvent posés à tort et retardent la prise en charge. Éléments diagnostiques de grande valeur :
– Histoire changeante, absente ou non compatible avec les lésions constatées ou l’âge de l’enfant ;
– HR bilatérales et/ou touchant la périphérie de la rétine et/ou plusieurs couches de la rétine, ou un rétinoschisis, ou un pli rétinien ;
– HSD plurifocaux, péricérébraux de la faux du cerveau et/ou de la tente du cervelet ;
– caillots au vertex témoignant de la rupture de veines ponts ;
– lacérations cérébrales.
Mécanisme causal des lésions
Le traumatisme cranio-cérébral est consécutif à de violentes secousses, provoquant des décélérations brutales antéro-postérieures de la tête, responsables du ballotement du cerveau dans la boîte crânienne et de l’arrachement des veines-ponts situées à la convexité. Le secouement sans impact est le mécanisme retenu. C’est un geste d’une grande violence au cours duquel le rachis cervical subit un mouvement brutal en coup de fouet (whiplash). Le saignement sous-dural et les HR sont corrélés à l’accélération angulaire subie par la tête. Les autres mécanismes évoqués ne peuvent pas être la cause des lésions observées dans le SBS, que ce soit :
– le secouement par un enfant ;
– le traumatisme crânien minime par chute de faible hauteur (< 1,50 m) ;
– le secouement du bébé par jeu dans un siège de type balancelle, transat ou poussette ;
– l’accouchement ;
– l’hypoxie, l’anoxie ;
– les manœuvres de réanimation.
Critères permettant de poser le diagnostic de TCNA par secouement
• Le TCNA par secouement est certain, si :
– HSD plurifocaux avec caillots à la convexité traduisant la rupture de veines-ponts ;
– ou HSD plurifocaux et HR quelles qu’elles soient ;
– ou HSD unifocal avec lésions cervicales et/ou médullaires.
• Le TCNA par secouement est probable, si :
– HSD plurifocaux même sans aucune autre lésion ;
– ou HSD unifocal avec HR rétiniennes limitées au pôle postérieur ;
ou HR touchant la périphérie et/ou plusieurs couches de la rétine, qu’elles soient uni- ou bilatérales. La datation du secouement est du ressort de l’expert judiciaire.
Conduite à tenir si le diagnostic est établi ou fortement suspecté
Hospitaliser l’enfant en soins intensifs pédiatriques avec avis neurochirurgical, car il risque de convulser comme tout traumatisé crânien grave. Après concertation, signaler sans délai la situation de cet enfant au procureur de la République, avec copie à la CRIP du lieu d’habitation de l’enfant.
Ce signalement a un triple objectif :
– civil : apporter une protection immédiate à l’enfant. Le procureur peut délivrer une ordonnance de placement provisoire (OPP) évitant à l’enfant d’être repris par ses parents le temps de l’enquête pénale ;
– sur le plan pénal, le procureur peut déclencher sans délai une enquête pour rechercher le ou les auteurs du secouement et les poursuivre le cas échéant ;
– le signalement est indispensable pour déclencher les processus d’indemnisation de la victime. Le signalement pour faits de maltraitance à enfants fait partie des exceptions légales au secret professionnel (art. 226-14 du Code pénal). A contrario, l’absence de signalement de la situation d’un bébé secoué expose le médecin à être poursuivi pour non-assistance à personne en péril (art. 223-6 du Code pénal). Enfin, il faut développer la prévention, mesure 10 du plan de prévention des violences à enfants, tant auprès des parents que des professionnels en charge des enfants : assistants maternels, personnels de modes d’accueil ou gardant les enfants au domicile de leurs parents. Parmi les outils intéressants, nous vous recommandons cette vidéo mise en ligne fin 2017 par le département de Vendée : « Je pleure, donc je suis ».
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