Depuis les propos de la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, sur l’épisiotomie, la parole des femmes se libère sur les pratiques des maternités. La polémique ébranle sages-femmes et médecins.
LE MONDE | | Par Gaëlle Dupont
Six ans ont passé depuis que Magali a donné naissance à son premier enfant. « Je n’ai rien oublié, c’est un tel traumatisme », relate la jeune femme, qui a requis l’anonymat. Dès son arrivée à la maternité ce jour-là, on la prévient : il y a beaucoup d’accouchements en même temps. Seule dans une chambre, elle souffre au point de perdre connaissance deux fois. « On m’a dit : “Taisez-vous madame, vous ne pouvez pas avoir aussi mal.” Je n’ai eu aucune prise en charge, aucune surveillance. »
Quand elle sort dans le couloir pour réclamer d’aller en salle de prétravail, l’accouchement est en fait imminent. Elle est auscultée : il est trop tard pour une anesthésie péridurale. Elle enfantera dans la douleur, avec forceps et épisiotomie (incision du périnée censée prévenir une déchirure plus grave). « Un des pires jours de ma vie », souffle-t-elle.
Le plus dur à supporter, ce n’était pas la souffrance physique, mais les mots des soignants : « On m’a dit que je poussais mal, que je ne faisais pas assez d’effort. Ma douleur était niée, j’étais complètement culpabilisée. » A 40 ans, elle essaie d’avoir un deuxième enfant, dans l’angoisse, car elle « ne veu[t] plus accoucher ».
Les récits comparables se multiplient depuis que la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a dit vouloir lutter contre les « violences obstétricales », le 20 juillet au Sénat. L’expression a déclenché une tempête. En outre, il n’y a pas en France 75 % d’épisiotomie en moyenne comme Mme Schiappa l’a alors indiqué mais moins de 30 % (44 % pour le premier enfant, 14 % ensuite). L’ordre des médecins ne s’était pas privé de dénoncer des propos « mal documentés ».
L’impression de « n’être plus qu’un utérus »
« Les bourdes ont du bon », se réjouit cependant Chantal Ducroux-Schouwey, présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane). Car la parole des femmes qui ont mal vécu leur accouchement, déjà présente sur des blogs et des forums Internet, fait irruption dans le débat public. « On est au début d’une révolution », abonde la juriste Marie-Hélène Lahaye, dont le blog « Marie accouche là », lancé en 2013, a contribué à populariser l’expression « violences obstétricales ».
Signe que les lignes bougent, l’ordre des sages-femmes soutient Mme Schiappa, qui a commandé un rapport au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, une instance indépendante placée auprès du premier ministre. « Ce sujet essentiel doit impérativement être étudié », affirmait l’ordre dans un communiqué, fin juillet.
De quoi parle-t-on au juste ? « De tout geste ou attitude qui ne considère plus la femme comme actrice de l’accouchement », répond Mme Ducroux-Schouwey. Cela va de l’« expression abdominale », une pratique très douloureuse et déconseillée par les autorités de santé qui consiste à appuyer sur le ventre pour accélérer la naissance, à la réalisation d’une épisiotomie non justifiée, en passant par des paroles déplacées, ou encore l’obligation de rester allongée sur le dos pour accoucher alors que certaines femmes préféreraient une autre position…
Plus généralement, l’absence d’explications et de recueil du consentement des patientes, par exemple pour l’utilisation des forceps ou la pratique d’une épisiotomie sont mis en cause, car ils rendent ces gestes incompréhensibles. Il s’agit pourtant d’une obligation légale depuis 2002 pour tous les actes médicaux. « On a l’impression de n’être plus qu’un utérus », résume Magali.
« La situation peut très vite se compliquer »
Combien de femmes sont concernées, à quel degré ? Impossible de le savoir, car aucune étude officielle n’a jamais été réalisée sur le sujet. Médecins et sages-femmes connus ou anonymes sont en tout cas sonnés par la remise en cause. « Parler de violences à propos de gens qui consacrent leur vie à soigner les autres, c’est un peu fort !, conteste Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France. C’est mal vécu par la profession qui l’interprète comme un “doc bashing”. »
Le risque est de mettre tout le monde dans le même sac, d’oublier les accouchements sans accroc et les personnels dévoués. « Ce qui se dit fait beaucoup de mal aux équipes qui s’engagent dans la bientraitance », relève Cécile Thiébaut, sage-femme cadre dans une clinique de Compiègne. Sans compter l’effet produit sur les futures mères. L’accouchement, espéré autant que redouté, est un événement en lui-même anxiogène. La polémique peut le rendre carrément effrayant.
« Le terme de violences laisse entendre que ce serait délibéré », s’insurge le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens, Israël Nisand, indigné par la « punition collective » infligée à une profession « extrêmement difficile », qui peine déjà à recruter.
Pour s’expliquer, les professionnels rappellent les risques et énumèrent leurs contraintes. « J’ai vu des patientes mourir, affirme M. de Rochambeau. Lors d’un accouchement, le stress est très intense. » « La situation peut très vite se compliquer, sans préavis, et il n’y a pas d’urgence plus importante », renchérit M. Nisand. La mortalité maternelle a été divisée par dix depuis la médicalisation de l’accouchement. Les soignants soulignent également que l’incision du périnée a longtemps été enseignée, avant d’être remise en cause. La pratique est d’ailleurs en baisse (le taux atteignait 71 % pour le premier enfant en 1998).
« Cesser d’infantiliser les femmes »
Tout cela dans un contexte de compression de personnels. « Les confrères n’ont pas la tête à savoir si le consentement a été recueilli, explique M. de Rochambeau. L’important c’est de faire naître le bébé, que ça se passe bien pour lui et la maman, et de passer au suivant. Nous sommes arrivés au bout de notre modèle. »
Quasiment toujours médicalisé, l’accouchement est aujourd’hui standardisé. Pendant sa grossesse, la future mère peut être suivie par une demi-douzaine de personnes différentes. Le jour J en salle d’accouchement, c’est la loterie. On ne sait pas sur qui on tombe, mais il s’agit en général d’inconnus. La péridurale et la position allongée sont devenues routinières. Celles qui veulent sortir de ce cadre ne sont pas forcément bien accueillies, car l’accouchement sans anesthésie demande un accompagnement différent.
« La posture empathique et l’accompagnement global des femmes – tout au long de la grossesse et de l’accouchement – ne sont pas valorisés dans le modèle de financement de nos hôpitaux, analyse Isabelle Derrendinger, directrice d’une école de sages-femmes et élue au conseil de l’ordre. Mais nous contenter de ce constat serait une erreur. Le comportement soignant doit évoluer au regard des attentes, du vécu des femmes. »
Cécile Thiébaut raconte ainsi comment, dans son service, le taux de césarienne est passé en quelques années de 24 % à 14 %, et celui d’épisiotomie de 28 % à 3 %. « Rien qu’en se mettant autour d’une table et en discutant », résume-t-elle. Tous les jeudis matins, les soignants doivent justifier devant l’équipe des actes effectués. Ils recueillent toujours le consentement des patientes. « Il faut cesser d’infantiliser les femmes, poursuit-elle. L’épisiotomie est-elle en soi une violence ? Je ne crois pas. Ne pas le dire, ne pas l’expliquer, ç’en est une. »
La polémique de l’été débouchera-t-elle sur un mouvement plus profond ? Une meilleure connaissance du phénomène est en tout cas un premier pas unanimement attendu. « Personne ne s’est jamais préoccupé de la qualité des maternités, affirme M. Nisand. Il faut dire où ça se passe bien, et où ça se passe mal. »
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