Chez le macaque, 205 neurones suffisent pour identifier fidèlement un visage humain. Certains analysent la distance entre les deux yeux, d’autres la texture des cheveux…
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Florence Rosier
NEUROSCIENCES. Des chercheurs américains viennent de « cracker » le code de la reconnaissance des visages. Comment ? En s’introduisant dans les réseaux de neurones du cerveau de macaques, tels des pirates informatiques. Premier constat : non, il n’existe pas de « cellules du visage de la grand-mère ». Autrement dit, aucun neurone n’est dévolu à la reconnaissance d’une personne donnée – votre grand-mère, par exemple.
A vrai dire, beaucoup jugeaient l’hypothèse peu crédible. « Vous pouvez reconnaître potentiellement 7,5 milliards de visages ; or il n’existe pas 7,5 milliards de neurones dans les régions du cerveau identifiant les visages ! », relève la professeure Doris Tsao, biologiste à Caltech (California Institute of Technology).
Son étude révèle l’extraordinaire élégance des processus en jeu. « Nous avons découvert que le code neuronal de la reconnaissance des visages est très simple, souligne Doris Tsao. Nous sommes maintenant capables de reconstruire le visage que regarde un singe à partir de l’activité électrique de seulement 205 neurones, dans son cerveau. »
Méthodologie élégante
Ainsi, à peine plus de 200 neurones suffisent pour identifier n’importe quel visage, parmi 7,5 milliards d’individus ! Cette découverte « pourrait inspirer des algorithmes intelligents de reconnaissance des visages », estime Doris Tsao, qui évoque d’autres applications en médecine légale – même si enfoncer des électrodes dans le cerveau de témoins pour obtenir des portraits-robots paraît irréaliste. « La méthodologie de cette étude est extrêmement élégante », s’enthousiasme Paolo Bartolomeo, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) à Paris.
Comme nous, les singes reconnaissent très bien les visages humains. L’imagerie cérébrale (l’IRM fonctionnelle) a permis d’identifier les régions de leur cerveau responsables de cette mystérieuse capacité. « Chez le singe comme chez l’homme, cette faculté dépend de plusieurs petits réseaux de neurones, répartis sur cinq ou six régions très proches, à la base du cerveau », précise Paolo Bartolomeo.
Comment les « Champollion de Caltech » ont-ils procédé pour déchiffrer ce code ? Leur pierre de Rosette a été un panel de 200 visages réels, issus d’une base de données. Les auteurs ont paramétré ces visages à l’aide d’environ 50 points. Puis ils les ont décrits précisément, dans un espace virtuel à 50 dimensions. La moitié de ces dimensions quantifient la forme du visage : la distance entre les deux pupilles, la longueur du nez, la largeur de la ligne de cheveux… Les 25 autres dimensions décrivent d’autres traits, comme la couleur ou la texture de la peau ou des cheveux.
Visage en 50 dimensions
Les chercheurs ont ensuite construit des visages artificiels aux paramètres précisément quantifiés, dans cet espace à 50 dimensions. Puis ils les ont présentés à des macaques, tout en enregistrant l’activité électrique individuelle des neurones des régions concernées, à l’aide d’électrodes insérées dans le cerveau. Résultat : les différents visages qui activaient un même neurone partageaient tous un trait commun, sur une des 50 dimensions : par exemple, la distance entre les deux pupilles.
Ensuite, les auteurs ont développé un algorithme de reconstruction des visages, à partir des seules réponses électriques des neurones. Puis ils ont comparé les visages ainsi reconstruits et les photos présentées aux singes : la ressemblance était quasi parfaite !
Là réside la clé d’accès à ce code : chaque « neurone des visages » ne fait que mesurer un paramètre, dans une des 50 dimensions, mais reste aveugle à tout autre trait du visage. « De même que les lumières rouge, bleue et verte se combinent de différentes façons pour produire tout le spectre des couleurs, de même ces dimensions se combinent pour créer chaque visage possible », expliquent les auteurs.
Et chez l’homme ? « Les processus ne sont probablement pas très différents. La grande différence avec le singe, c’est que, chez l’homme, les régions de reconnaissance des visages sont un peu latéralisées à gauche. Elles ont été chassées par la région de la lecture, qui est très proche », explique Paolo Bartolomeo.
Les travaux de Doris Tsao permettront-ils de mieux comprendre l’origine de déficiences touchant certaines personnes rigoureusement incapables de reconnaître les visages ? Elles souffrent de « prosopagnosie ». Ce peut être à la suite d’un AVC qui lèse ces régions, d’une maladie d’Alzheimer, d’un trouble neuro-développemental… « Une personne atteinte ne reconnaît pas son propre reflet dans un miroir. Elle est incapable d’effectuer une analyse globale des traits d’un visage. Mais certains développent des stratégies compensatoires en se focalisant sur la démarche, la voix… », indique Fiora Martinelli, neuropsychologue à la Fondation Rotchschild à Paris.
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