Par son sujet insolite (la «normopathie », conformisme « excessif » aux normes de comportement sociales, au mépris de sa propre subjectivité), thème « rarement abordé » dans la littérature médicale, un article du Dr Françoise Chaine (psychiatre et psychanalyste) n’est pas sans rappeler La Parisienne [1], cette célèbre chanson que Marie-Paule Belle a consacrée précisément aux déboires « psy » d’une femme « ordinaire », apparemment « trop normale. » Bien différent des publications que nous évoquons ici d’habitude (lesquelles s’appuient sur des éléments objectifs comme des examens complémentaires, ou des analyses statistiques), cet article illustre la nécessaire diversité de la pensée en psychiatrie.
Loin de l’imagerie par résonance magnétique ou d’autres données émaillant l’actuelle littérature psychiatrique internationale, cet article évoque en effet un « autre continent » (que certains estimeront désormais à la dérive), celui du « fonctionnement inconscient », du « transfert » et « contre-transfert », du « processus primaire », de la « névrose infantile » ou de l’« imago maternelle », bref tout l’univers suranné de la psychanalyse...
Cependant, l’auteur parvient à retenir notre attention par une longue vignette clinique illustrant un « problème » paradoxal, puisqu’il réside précisément dans le fait de ne pas en avoir ! Il s’agit des sujets dits « normopathes » qui nous « interrogent en creux sur les frontières de la folie », malgré l’absence de tout diagnostic étayé à l’aune du DSM. Si ce terme « normopathie » sonne comme un oxymoron, de surcroît unipolaire (à l’instar du mot « superette » associant étrangement l’idée de grande taille exprimée par le préfixe ‘‘super’’ à celle de petite taille exprimée par le suffixe hypocoristique ‘‘ette’’ !), il n’en constitue pas moins, comme le prouve la chanson satirique de Marie-Paule Belle, un sujet de prédilection pour certains psychothérapeutes.
L’auteur affirme par exemple que la « normopathe » en question se défend ainsi « contre l’émergence d’affects par une sur-intellectualisation permanente que ses études supérieures brillantes ont contribué à transformer en blindage. » Cette « normopathie » aurait ainsi une fonction « protectrice du psychisme et du corps » où un «hyperconformisme relationnel » et une adéquation « trop parfaite » à ce qu’on attend du sujet lui permettraient, à l’abri dans une « carapace d’hyperconformité » (telle une «coque rigide » psychique) de ne plus offrir aucune prise au thérapeute. Les détracteurs des psychiatres trouveront certainement dans ce concept de « normopathie » un avatar exemplaire de « disease mongering » : débusquer une pathologie là où il n’y en n’a pas ! D’autres (comme l’universitaire Philippe Meirieu) [2] feignent d’y voir plutôt un côté rassurant, car il « confirme qu’un être humain n’est pas un robot, mais quelqu’un d’éminemment fragile pouvant avoir des problèmes sans être un malade psychiatrique définitivement étiqueté comme tel. »
[2] Normopathe
Dr Alain Cohen
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