RÉCIT
Très prégnante dans les pays anglo-saxons, la mode de mettre en ligne ses vidéos d’accouchement pourrait proliférer chez nous.
Trente-neuf minutes. C’est long. C’est une expulsion. C’est le temps qu’a mis la Britannique Gemma Vaughan pour accoucher de son fils, il y a un mois… Et bon, quoi ? Eh bien, la jeune femme de 25 ans, originaire du Kent, a mis en ligne, non pas sur son site perso mais sur YouTube, ces presque trois quarts d’heure assez étranges et plus qu’intimes dans le but de faire profiter l’humanité de son expérience. C’est du moins ce qu’elle a expliqué récemment dans une interview au Daily Mail (la jeune femme n’a, à ce jour, pas donné suite à nos demandes répétées d’interview).
Piscines. Effectivement, on met toute sa vie en ligne : «Tiens, j’ai mangé un bento», «Tiens, j’ai croisé Jean-Michel», «Tiens, le chat est tombé de l’armoire»… Alors, pourquoi pas son accouchement ? Ça devait arriver.
Depuis quelque temps, fleurissaient çà et là sur le Web des vidéos très persos, comme celle de cette jeune Française diffusant la naissance de son quatrième enfant, en 2009 : 2 538 385 vues et des commentaires euphoriques et pleurnichards du genre «comme c’est beau, un accouchement». Chacun son point de vue - en l’occurrence, de très près et filmé par une caméra.
Le phénomène semble prendre de l’importance aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais il va sûrement gagner l’Europe : en tapant, sur les recommandations du Daily Mail, les mots «live childbirth video», on tombe déjà sur le nombre effarant de 1,6 million de vidéos d’accouchement sur YouTube : dans une salle d’hôpital, dans des piscines, à la maison, dans des jardins, avec vue sur tout ce qui se passe ou filmé discrètement avec subtilité… Avec comme public, quelques pervers, sûrement, mais aussi des femmes enceintes angoissées et curieuses de voir leurs sœurs de maternité au travail.
En ce concerne Gemma, 16 000 personnes (!) ont suivi l’affaire, où, calme et tranquille, assise avec son masque à oxygène à la main, elle papote comme au salon de thé, commente ce qui se passe, discute avec le médecin. La jeune mère explique au quotidien britannique qu’elle est trop «contente que tant de gens aient regardé la vidéo».Filmée par sa sœur aînée, elle va à son tour bientôt filmer leur autre sœur, Emily, parturiente du mois d’août. C’est de famille.
«Exploits». Rien de sexuel, explique-t-elle avec candeur, ses seins sont cachés sous un tee-shirt (moche, du reste), et «les réactions des internautes ont été extrêmement positives», raconte celle qui a tenu un journal filmé de sa grossesse depuis la vingtième semaine. Gemma a voulu tout montrer pour que les autres sachent à quoi s’attendre. Et garder pour elle une trace de son accouchement, puisque, comme elle le dit, on ne se souvient pas très bien de l’avant et de l’après. Là-dessus, défoncée à la péridurale et à l’oxygène hilarant, on ne peut pas lui donner tort.
Rebecca Meldrum, femme au foyer écossaise et «maman de deux superbes fillettes», en a, elle, carrément fait une sorte de chaîne sur YouTube, avec accouchements et toute la vie de famille. Du néonarcissisme facilité par les réseaux, certes, mais pas seulement :«Ces femmes se mettent en ligne pour montrer leur combat,explique le psychiatre Serge Tisseron, montrer qu’elles ont été courageuses et ont bien fait leur boulot de femme. C’est aussi l’idée de l’extimité, un mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique.» On livre ce que l’on a de plus intime pour dire «ne m’oubliez pas, regardez-moi, voyez mes exploits», pour avoir une image de soi positivée par d’autres : «Une condition fondamentale à l’expression de l’intime est le fait de croire que l’interlocuteur partage le même système de valeur que soi», poursuit le psychiatre, auteur, entre autres, de Rêver, fantasmer, virtualiser, du virtuel psychique au virtuel numérique (1). L’accouchement en ligne n’est qu’un avatar de cette extimité narcissique. Allez j’y vais, y a ma poule qui fait son œuf, ça vaut largement une vidéo.
(1) Ed. Dunod (2012), 192 pp., 22 €.
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