L’insurrection est un truc de branleur. C’est la conclusion qu’on peut tirer de la joyeuse lecture de Voyage autour de mon sexe : il existe peu d’activités aussi profondément anticapitalistes que l’amour en solitaire : « Une sorte de doigt d’honneur aux principes de croissance, de production et de consommation qui nous gouvernent. » Qui pourrait réfuter la parfaite et merveilleuse gratuité du sexe imaginaire ? Thibault de Montaigu, dans un texte empruntant son titre, comme sa facétieuse irrévérence, au classique Voyage autour de ma chambre, de Xavier de Maistre (1794), nous convainc sans mal qu’il y a dans la caresse à soi-même de la mutinerie, de la sédition, une résistance au monde comme il va. La découverte l’enchante et nous ravit.
L’angoisse d’être surpris
Sur ce point, on ne peut lui faire le reproche de manquer d’expérience. Assurément il est informé : il a passé un fort long séjour en Arabie saoudite, un « désert sexuel » propre à transformer tout dévot en onaniste frénétique. Sur cette toile de fond cocasse, l’auteur brode ses premières réflexions. Et s’insurge. Non seulement la honte jaillit immanquablement, mais l’adepte du plaisir solitaire ne peut se défaire, quel que soit l’endroit où il se trouve, fût-il le plus sûr du monde – et la porte des toilettes fermée à double tour –, de l’angoisse d’être surpris. Une frayeur qui gâcherait presque le plaisir…
Pourquoi diantre tous ces interdits ? Thibault de Montaigu avance quelques idées qu’il mêle à des récits personnels ou à des anecdotes toujours bien tournées ; il puise aussi bien chez Aristophane que chez Woody Allen, chez Philip Roth que chez Thomas Laqueur, un historien reconnu de la sexualité. Il retient l’intrigante parenté entre la condamnation de l’onanisme et celle de la lecture de romans. Au XVIIIe siècle, la pratique du sexe en solitaire se voit couverte d’ignominie, au moment même où la pratique de la lecture se diffuse, l’un comme l’autre poussant, prétend-on, à délaisser le commerce de ses semblables et à leur préférer des êtres imaginaires : « Asociabilité, imagination, excès. Les trois maux qui menaçaient alors la jeunesse et compromettaient le bon fonctionnement de l’ordre social et économique. » L’imagination est pourtant la seule arme qu’il nous reste, soutient l’auteur, contre l’obsession de la production : Voyage autour de mon sexe est autant une ode à l’imagination qu’une défense de la masturbation. La « folle du logis » est notre dernier rempart contre cet avenir de « branleurs connectés 24 heures sur 24 », soumis à la « sexualité archétypale » produite par le capitalisme.
Au fond, le branleur est l’exact opposé du don Juan, « son jumeau maléfique », « son double inversé ». L’auteur s’en fait ironiquement la réflexion pendant un face-à-face avec son tombeur de père : « D’un côté le séducteur cynique qui cherche son propre reflet dans toutes les femmes, de l’autre l’onaniste qui cherche le reflet de toutes les femmes en lui-même. » Des femmes et de leur talent en matière de sexe solitaire, il est aussi question dans ces pages. Ce ne sont pas les plus inspirées, mais qu’importe. Thibault de Montaigu a remarquablement cerné la masturbation : « Elle est comme une signature érotique sur son propre corps. » Après lui, on persiste et on signe.
Voyage autour de mon sexe, de Thibault de Montaigu, Grasset, 240 p., 18 €.
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