Censé réduire les coûts, le «lean management» à la japonaise intéresse les établissements français.
Injecter du kaizen (amélioration continue), de la chasse aux muda(gaspillages) et aux mura (irrégularités) pour sauver les hôpitaux français ? L’idée fait son chemin. Après avoir gagné l’industrie, puis les services, le lean management, un mode d’organisation inspiré du toyotisme japonnais des années 50, séduit de plus en plus les centres hospitaliers.
Son but : «Générer de la valeur ajoutée maximale au moindre coût et au plus vite, en employant les ressources justes nécessaires pour fournir aux clients ce qui fait de la valeur à leurs yeux», selon la définition de Christian Hohmann, expert en management. Traduit en langage hospitalier, la méthode vise à «remettre les attentes du patient au centre de la démarche d’amélioration» et à créer des «meilleures conditions»de travail, explique le cabinet Capgemini. Bref, une meilleure efficacité (augmentation du temps au contact des patients, réduction des tâches inutiles…), avec à la clé des économies de coûts.
Aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Europe du Nord, la méthode fait des émules. Exemple à Québec, où le ministère de la Santé s’est engagé à soutenir une démarche globale d’implantation du lean, à grand renfort d’aides financières. Ou encore en Suède, dans un service d’urgences de Stockholm dont la démarche lean - standardisation du travail, interdépendance et implication des salariés, fluidification des processus de travail - a débouché, selon une étude, sur une «baisse du temps d’attente pour les patients et une amélioration de l’attribution des ressources humaines». Mais la France, elle, reste timide. «Chez nous, le phénomène est encore expérimental, limité à certains services, précise Philippe Rouzaud, consultant du cabinet Secafi. Mais il y a un regain d’intérêt lié au contexte général de recherche d’économies.»
Jeux de construction. Sur le papier, l’idée est séduisante pour les structures confrontées à la rigueur budgétaire. Mais les réticences sont nombreuses sur le terrain. «Cela peut s’adosser à de bonnes intentions, explique Thomas Deregnaucourt, de la branche santé de la CGT. Mais sous couvert de rechercher plus de qualité et de sécurité, on risque d’augmenter les contraintes et la charge de travail des salariés, et du coup, les risques pour les patients.»
Au centre hospitalier de Beauvais (Oise), engagé dans une démarchelean depuis quelques mois, les syndicats ne savent plus sur quel pied danser. «L’hôpital, ce n’est pas une usine, s’inquiète Daniel Cotu, secrétaire général FO de l’hôpital. S’il s’agit de réduire les déplacements inutiles ou les pertes de temps, pourquoi pas, mais nous ne voulons pas de travail à la chaîne.» Pour l’heure, les syndicats ne notent pas trop de changement, si ce n’est la mise en place, par la direction, de formations au cours desquelles les salariés sont invités à réaliser à plusieurs des jeux de construction tout en réfléchissant à une meilleure organisation. «Mais ce qui est applicable à des pièces de Lego, est-il applicable à des patients ?»interroge une infirmière qui a participé à ces ateliers.
«Aujourd’hui, il manque du monde dans les services, les collègues se plaignent de cadences infernales, de perte de repères professionnels, note Daniel Cotu. Ils attendent autre chose, une véritable amélioration des conditions de travail.» Face à ces difficultés, une énième réorganisation ne rassure pas. «On craint que la rationalisation et la standardisation des rôles effacent les spécialisations acquises par l’expérience», note Eric Couq, représentant CGT de l’hôpital de Beauvais.
Jeu de dupes. Si «certains salariés se sentent plus utiles grâce à cette démarche qui oblige à recueillir leur avis», lui craint un jeu de dupes. «La direction est d’abord motivée par la quête de pognon»,conclut-il, tout en soulignant les difficultés financières de l’hôpital.«La baisse du coût doit être la conséquence du lean et non l’objectif,analyse Richard Kaminski, directeur de l’Institut Lean France. Or, beaucoup d’entreprises ne piquent que les outils de réduction des coûts, sans changer leur système dans son ensemble. Elles font la chasse aux gaspillages, mais oublient que les Japonais préconisaient aussi de travailler sur la surcharge des salariés et la variabilité de l’activité. Résultat, elles mettent en place des pratiques horribles et court-termistes qui n’ont rien à voir avec le lean.»
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