A plus de 80 ans, Irvin Yalom dit « profiter du ciel étoilé ». Il paraphrase Schopenhauer, qui utilisait l’image pour expliquer comment le déclin progressif du « soleil » de ses pulsions lui révélait des beautés dont il ne soupçonnait pas l’existence. Irvin Yalom a passé sa vie à fréquenter des pulsions plus ou moins avouables, parfois très secrètes et souvent dérangeantes : il a derrière lui une très longue carrière de psychothérapeute. Auteur de nombreux best-sellers et inventeur de la « thérapie existentielle », il est aux Etats-Unis une véritable star, et dans son domaine, un révolutionnaire : à rebours de l’école qui prônait, à ses débuts, la plus grande neutralité du thérapeute, il a toujours défendu la notion d’« engagement » auprès du patient. Cet engagement a déterminé toute sa vie de médecin, mais aussi d’époux et de père.
Bouleversée par la lecture des livres d’Irvin Yalom, la documentariste Sabine Gisiger a souhaité rendre justice à son travail en réalisant un film aussi inspirant que les écrits du thérapeute peuvent l’être. La forme qu’elle adopte est légère en apparence : assez détachée des rigueurs chronologiques qui étouffent souvent ce type de travail, adoptant un va-et-vient tout en souplesse entre sphère intime et sphère professionnelle à l’image de la parole de Yalom, qui réunit l’évocation de l’une et de l’autre dans le récit d’une même expérience de vie. Sous ses airs un peu désinvoltes, cette souplesse travaillée propose une entrée des plus agréables dans la pensée du médecin : elle laisse la part belle aux mots, dont elle se fait l’écrin modeste.
Parole trop forte pour l’image
Sabine Gisiger atteint aisément ses ambitions de lectrice passionnée : la parole qu’elle a captée et orchestrée est belle, forte dans sa simplicité, porteuse d’un espoir contagieux que l’on a envie d’entretenir en devenant à son tour lecteur. Mais au revers de la médaille, cette parole s’avère trop forte pour l’image, ou l’image trop faible pour les mots : on a plus d’une fois l’impression que la réalisatrice ne sait pas quoi filmer pour proposer une expérience visuelle à la hauteur de l’expérience auditive.
Elle n’y réussit pas toujours. Le film cède à la facilité des plans qui veulent tout et rien dire (la mer sous le soleil et les bateaux qui la parcourent), tire souvent vers la banalité (intervenants cadrés en plan fixe à hauteur d’épaule et vieilles photos en noir et blanc pour accompagner les passages biographiques). Il trouve, a contrario, une matière forte dans les images toutes simples en apparence de la vie de famille.
Modèles de longévité, Irvin et Marilyn Yalom ont fait passer leur couple avant leurs enfants : leur manière d’être ensemble le dit à l’œil plus subtilement qu’eux-mêmes ne le disent. Le sujet est sensible, et la réalisatrice ne s’en approche que précautionneusement, craignant peut-être que le point aveugle, si elle s’y aventurait trop nettement, ne vienne nuire à l’hommage. Mais sa prudence un peu frustrante n’est pas non plus étrangère à la curiosité pour l’homme et pour l’œuvre que le film travaille – avec succès – à éveiller.
Documentaire américain, français et suisse de Sabine Gisiger (1 h 17). Sur le Web : www.sddistribution.fr/fiche.php?id=117
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