ANALYSE
Les syndicats de la santé se mobilisent, ce jeudi, sur la question de la «réorganisation» des horaires portée par le patron des établissements parisiens, Martin Hirsch. Un dossier explosif dans un secteur à bout.
Une grève à l’appel de tous les syndicats… Voilà un unanimisme assez inédit à l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP). Ce jeudi, les 38 hôpitaux de l’AP-HP vont en effet tourner au ralenti. Motif invoqué : le projet de réforme des 35 heures porté par Martin Hirsch, directeur général de l’institution. «Le projet ne porte pas sur les 35 heures , rectifie aussitôt Martin Hirsch, mais sur l’organisation du travail.» Une précision très politique, car en ce domaine, le message officiel du gouvernement est martelé : «On ne touche pas aux 35 heures, même à l’hôpital. Mais on s’adapte.»Hirsch le sait. On ne peut lui ôter un certain courage de s’attaquer à ce tabou. «J’ai pris connaissance en septembre des mesures d’économies pour les hôpitaux, nous explique-t-il. On ne pouvait rester les bras croisés. Cela se traduirait automatiquement par un ralentissement de la masse salariale. Que faire ? Supprimer des emplois ? Non, c’est le pari que l’on fait : on préserve les emplois, mais on réfléchit à une meilleure organisation du travail.»
Paquebot. Une analyse partagée par beaucoup. «En ces temps de forte rigueur budgétaire, ne rien faire serait suicidaire, argumente Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France. C’est pour cela que l’on regarde ce dossier avec beaucoup d’intérêt, car si l’AP-HP s’enrhume, ce sont tous les hôpitaux qui toussent.»
L’équation est difficile, le climat social délicat. L’AP-HP a beau être le bateau amiral de l’hospitalisation à la française, avec 38 établissements, 75 000 personnels et des moyens financiers plus importants qu’ailleurs, c’est un paquebot, avec sa kyrielle de réglementations, de lobbys, de réseaux et d’horaires de travail. De fait, les rythmes sont très divers : 66% des agents travaillent 7 h 36 par jour (38 heures par semaine) ou 7 h 50. D’autres vont faire 10 heures de nuit, 12 heures de jour. Tandis que certains cadres vont être au forfait.
Le nombre des RTT, lui, peut varier selon les catégories et les hôpitaux, entre 20 et 24 jours. Les salariés peuvent aussi en demander la contrepartie financière, mais cela reviendrait à près de 100 millions d’euros. L’an dernier, selon l’AP-HP, les agents ont utilisé en moyenne une seule journée de leur compte en congé, et ont demandé le paiement de trois jours.
Internes. A la direction de l’AP-HP, l’enjeu est clair : arriver à gagner, par une autre organisation du travail, «au moins 20 millions d’euros par an, en évitant la suppression de plus de 4 000 emplois d’ici quatre ans». «Pas question de supprimer tous les RTT», ajoute l’AP-HP, mais il faut «adapter les horaires aux charges réelles de travail». «Les hôpitaux sont passés aux 35 heures sans modifier leur organisation, détaille Martin Hirsch.Souvent, on a gardé les mêmes horaires et on ne s’est pas adapté, et aujourd’hui on doit traiter des problèmes qui se sont enkystés.Pour autant, il n’y a pas un cadre. Je ne veux ni passer en force ni imposer un modèle. C’est à chaque hôpital de s’adapter, selon les besoins et les souhaits du personnel.»
Réponse de la responsable CGT de l’AP-HP, Rose-Mary Rousseau :«Nous sommes prêts à discuter d’une véritable réduction du temps de travail avec des embauches, mais pas en suivant le calendrier de la direction générale».
Au-delà des 35 heures, la question du temps de travail des internes et des urgentistes est aussi posée. Car tout se bouscule, preuve s’il en est d’un changement d’époque dans l’organisation du travail à l’hôpital. Ainsi, selon une directive européenne, les jeunes internes - étudiants pendant six années, hier corvéables à merci, faisant tourner les services sans rechigner - ne doivent plus travailler que 48 heures par semaine. Et leurs obligations de service passent de 11 à 10 demi-journées par semaine. «L’organisation du travail à l’hôpital devient un vrai casse-tête», lâche un directeur d’hôpital. Cette directive est censée être entrée en vigueur depuis 1er mai, mais qui l’applique vraiment ?
Récupérations. Pour compliquer encore un peu plus le paysage organisationnel, après un accord signé en janvier avec le ministère de la Santé, les 8 000 médecins urgentistes exerceront à partir du 1er juillet «avec un plafond horaire de 39 heures hebdomadaires au contact des patients, et de 9 heures de travail non clinique». Le temps médical supplémentaire donnera droit à des heures supplémentaires rémunérées ou à des récupérations. Comment faire, là encore ? D’autant que les 4 500 anesthésistes-réanimateurs, dont les conditions de travail sont proches, demandent eux aussi à profiter de ce changement.
De fait, les ratés autour de la mise en place des 35 heures apparaissent de plus en plus comme le symptôme d’une organisation en panne. «Il faut réorganiser le travail sans doute, il faut des moyens supplémentaires, mais cela ne se regarde pas sous le seul prisme des 35 heures», a expliqué le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, sur RTL.
Quant à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, elle reste prudente sur un dossier qui peut exploser à tout moment. Ainsi, mardi, au salon Santé Autonomie, elle a lâché : «Moderniser, ce n’est pas remettre en cause les 35 heures. En même temps, travailler sur des cycles de gestion du temps de travail, ce n’est pas porter atteinte au droit de chacun. Nul besoin de faire peur ni de se faire peur.» Ces simples mots ministériels ne suffiront pas à relever le défi actuel : comment mieux s’organiser quand, dans le même temps, il y a moins d’argent dans les caisses et que les prises en charge des malades se complexifient ?
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