Ce n’est pas une surprise, mais la population détenue a augmenté à une vitesse vertigineuse : 37 000 personnes en 1980, 67 000 en 2014 ; et la hausse s’accélère, avec une augmentation du nombre de prisonniers de 38 % depuis 2002. Les bons esprits répondent à raison que la population a augmenté, à tort que la délinquance a explosé. Elle a certes changé de visage, mais la répression n’a jamais été aussi sévère : le taux de détenus était en 2004 de 95 pour 100 000, il est aujourd’hui de 102, et « il faut remonter au XIXe siècle pour trouver des taux de détention plus élevés », relèvent les démographes Florence de Bruyn et Annie Kensey dans le dernier et très complet numéro des Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques. Ce qui donne une idée assez nette du supposé laxisme des juges.
Si l’on entre dans le détail, le constat est même plus sévère. On distingue traditionnellement les personnes sous écrou, c’est-à-dire sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire, en milieu fermé ou ouvert – par exemple avec un aménagement de peine. Ces aménagements sont de plus en plus nombreux. En 2005, 98 % des personnes écrouées étaient effectivement enfermées, elles ne sont plus que 86 % aujourd’hui, et pourtant les prisons n’ont jamais été aussi pleines, en dépit du mouvement continu de construction de cellules. Le record absolu a été atteint en avril avec 68 859 détenus ; 12 164 détenus sont aujourd’hui en surnombre, dont 1 046 dorment sur un matelas par terre (11 % de plus en un an).
Jusqu’en 1996, la croissance du nombre de détenus est à peu près contenue chaque année par les grâces présidentielles, puis de 1997 à 2001 par la baisse du nombre de sans-papiers incarcérés, qui font désormais l’objet d’un traitement administratif. Les incarcérations bondissent en 2002 (+ 14 %) et grimpent ensuite par paliers. Le problème, contenu dans les établissements pour peine, est explosif en maison d’arrêt – censées n’accueillir que des personnes en détention provisoire mais qui doivent bien admettre des condamnés faute de place ailleurs – et où 36 % des détenus se trouvent dans une prison remplie à plus de 150 %. Ces chiffres s’expliquent par plusieurs mouvements.
Le nombre de prévenus, c’est-à-dire en attente d’un jugement définitif, est aujourd’hui stable, et tourne autour de 25 % des détenus, alors qu’il était de 35 % il y a dix ans. Un prévenu sur dix est écroué dans le cadre d’une comparution immédiate, un autre attend un appel ou un pourvoi, les 8 autres sont en détention provisoire sur décision d’un juge d’instruction. C’est ce dernier chiffre qui a baissé : les magistrats instructeurs incarcèrent de moins en moins.
L’augmentation rapide du nombre de détenus est ainsi liée au nombre de condamnations à de la prison ferme d’une part, à l’allongement des peines prononcées d’autre part. Et qui condamne-t-on le plus ? Les petits délinquants, voire les tout petits. « En cinq ans, la structure a changé, indiquent les démographes ; 56 % des condamnés détenus le sont pour des peines inférieures à trois ans au 1er janvier 2014 (50 % au 1er janvier 2009), tandis que les condamnés à des peines de cinq ans et plus représentent 29 % en 2014 et 33 % en 2009. »
Le nombre total de condamnés détenus entre 2009 et 2014 a augmenté de 9 %. Le nombre de détenus condamnés à des peines de un à trois ans a bondi de 23 % ; ceux qui ont été condamnés à des peines de six à douze mois a même augmenté de 30 %… « Deux lois entrées en vigueur dans cette période, afin de lutter contre la récidive, peuvent expliquer l’augmentation de ces effectifs », indiquent les auteurs – la loi Clément du 12 décembre 2005 qui a élargi la notion de récidive, et la loi Dati du 10 août 2007 sur les peines planchers.
Au total, 39 % des détenus le sont pour vol (22,6 %) ou trafic de stupéfiants (16,4 %) et le chiffre est stable depuis cinq ans ; les condamnés pour violences volontaires (13 %) sont en augmentation, le nombre d’auteurs d’homicide volontaire (9,2 %) ne change guère. Le nombre de détenus pour viols et agressions sexuelles a beaucoup augmenté jusqu’en 2001 et baisse depuis, mais probablement en raison d’un mouvement de « correctionnalisation » des viols, pour éviter parfois les délais aux assises.
Curieusement, le nombre de détenus croît alors que le nombre de placements en détention diminue (69 819 en 2013, contre 83 000 en 2007). Simplement parce que la durée moyenne de détention a considérablement augmenté – 8,6 mois en 2007, 11,5 en 2013 –, soit 3 mois de plus en six ans. Au total, c’est donc bien l’allongement de la durée des peines et l’incarcération massive de courtes peines pour vols, drogue et violences qui expliquent l’inflation carcérale historique du pays.
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