RÉTRO
Baisse du niveau, égalité et mixité, manque de discipline… Moult ouvrages revisitent les enseignements d’autrefois. Et si c’était mieux maintenant ?
La craie qui crisse. Les plumes Sergent-Major qui glissent de l’encrier au cahier ; les leçons de choses à observer les cotylédons d’un haricot ; les fleuves et les montagnes qui se détachent sur les cartes de Paul Vidal de La Blache ; et puis aussi les bons points, l’instituteur, ce «combattant du savoir» façonné par Jules Ferry, qui pose, fier, avec sa classe de garçons.
Comme un jet de sépia lancé sur des centaines de pages, les ouvrages qui revisitent l’école d’hier défilent. Ainsi, a-t-on pu, cette année, réviserles Méthodes de lecture de notre enfance (de Philippe Simon), enchaîner avec une histoire deLycéens (de Marie-Hélène Westphalen), prolonger encore récemment avec Une si belle école, nous l’avons tant aimée (de Christian Signol), initialement un roman, qui a cartonné dans les 200 000 ventes. A peine le temps de le refermer que déjà paraissait la Vraie Histoire des instits, signé Olivier Magnan. Que des beaux livres. Un sacré sillon que celui du passé, souvent mâtiné de nostalgie. Creusé, labouré, magnifié par des clichés de gosses dont on inspectait les ongles et les cheveux, qui se tenaient bien en rang avant d’être studieusement penchés sur leurs cahiers, qui savaient lire, compter, décrocher le fameux certif…
A écraser une petite larme avec le revers de son tablier ? Stop. «C’est un classique qui revient régulièrement. Quand on n’a pas d’utopie porteuse, on se réfère à un passé mythique. Comme en ce moment, faute de cap. On a beau parler de refondation de l’école, l’idée ne passe pas dans le grand public et chez une partie des enseignants. Et comme, dans le même temps, la France n’est pas très bien placée dans les classements, notamment dans la lutte contre les inégalités. On en revient à nos mythes, telle l’école de la IIIe République, qui, dans nos esprits, englobe aussi la IVe République»,analyse l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Mais au fond, par-delà ces ouvrages qui, certes, ne manquent pas de charme, l’air si lancinant du «c’était mieux avant» sonne-t-il juste ? Inspection du passé-présent.
AVANT, LES ÉCOLIERS MAÎTRISAIENT MIEUX LE FRANÇAIS ?
On se pâme sur les belles pages d’écriture, à l’encre bleue ou violette. Comme le raconte l’ouvrage de Christian Signol, «le débat a fait rage, à la fin du XIXe siècle, entre les tenants de l’écriture droite et ceux de l’école penchée : c’est la première qui a été retenue comme mieux à même d’éviter mauvaises postures et scolioses». Belle préoccupation. Belles lignes régulières aussi. Mais quid du contenu et, surtout, des fautes ? Les écoliers ont-ils perdu leur maîtrise de notre si complexe orthographe, avec - entre autres - l’autorisation du stylo-bille en 1965 ? «La question de l’orthographe est une sorte de totem français. Une obsession qui n’existe que chez nous. Et déjà au début du XXe siècle, on se plaignait d’une crise de l’orthographe. C’est récurrent. C’est encore revenu à l’entre-deux-guerres. A cette époque, on accusait la méthode de lecture globale non pas de ruiner la lecture, comme ce fut le cas dans les années 70-80, mais l’orthographe.» Mais, quand même, on est moins bon qu’avant, non ? «Ce qui est certain, c’est qu’avec l’allongement progressif des vacances, au siècle dernier, la fin des cours le samedi, etc., les écoliers d’aujourd’hui passent quasiment moitié moins de temps à faire du français que sous la IIIe République. Or, l’apprentissage de l’orthographe usuel requiert beaucoup d’heures. Il faut savoir ce que l’on veut, c’est tout.»
AVANT, LE NIVEAU ÉTAIT GLOBALEMENT PLUS HAUT ?
Dites «niveau», et voilà des clichés du feu sacro-saint certificat d’études qui déboulent. «Mais de quel niveau parle-t-on ? Quelles générations compare-t-on précisément ? Sur quelles matières ?» balaie Claude Lelièvre. «Dans les faits, seule une minorité décrochait le fameux certif,enchaîne Olivier Magnan, qui rapporte une expérience décoiffante :En 1986, parce qu’on a mis la main sur 3 000 copies de certificats d’études, de 1873 à 1877 dans la Somme, on décide de faire passer (tous biais corrigés) les mêmes épreuves à 3 000 élèves dans toute la France.»Et ? «C’est la fin du XXe siècle qui l’emporte ! rapporte Magnan, avant d’ajouter : Plutôt que de parler de niveau, on devrait se pencher sur les nouvelles compétences demandées aux élèves : expression orale, écrite, recherche d’information, informatique, ouverture sur le monde…»
AVANT, LES FILLES ET LES GARÇONS ÉTAIENT BIEN RANGÉS PAR SEXE ?
On débat aujourd’hui d’une école chargée de lutter contre les stéréotypes de genre. On a raison, quand on observe que les filles réussissent mieux que les garçons dès l’école primaire, mais qu’à l’arrivée, 28% seulement des diplômes d’ingénieurs sont décrochés par des femmes. «Mais on revient de loin, comme le souligne Olivier Magnan. Si le mot mixité est entré dans le dictionnaire en 1842, les textes officiels de l’Education nationale ne l’utiliseront qu’à compter de 1957 !» «L’école républicaine ne pouvait pas lutter contre tout, modère Claude Lelièvre. Elle a lâché sur la mixité face à l’Eglise, qui redoutait des comportements sexuels débridés. Finalement, la mixité a commencé à s’instaurer au début des années 60, donc avant 1968. Derrière cela, il y avait l’idée que les filles soient moins godiches et les garçons moins violents.» Tiens, tiens, qui a dit qu’il fallait lutter contre les stéréotypes ? En tout cas, s’il s’en trouve aujourd’hui pour crier à la confusion des sexes, la mixité est bien installée. Et ce, n’en déplaise au défunt écrivain Jean Dutourd, qui sur ce sujet déclarait : «Que croyaient-ils qu’il sortirait de la mixité sinon une grande valse des pucelages et la transformation méthodique des lycées en bordels ?»
AVANT, L’ÉCOLE ÉTAIT PLUS DISCIPLINÉE ?
Oreilles longuement tirées par un maître qui sait se faire respecter, coups de règle de bois ou de fer, et puis le bonnet d’âne : pas un livre sur l’école d’antan ne manque d’afficher la tête d’un gosse mortifié sous le fameux couvre-chef. Comment regretter cette sévérité passée, ces dérapages d’autorité, bref cette forme de pédoplégie, soit la pédagogie par les coups ?«La IIIe République avait pourtant d’emblée banni les châtiments corporels à l’école», explique Olivier Magnan, avant d’ajouter : «La tolérance de la gifle ou du tirage d’oreilles a pourtant reçu la "compréhension", pendant des décennies, des familles, complices dans une certaine limite de l’éducation par les coups.» Et aujourd’hui ? Selon Olivier Magnan (1) : «Si un ou une instit reste un être humain dont la patience pédagogique connaît des limites, l’immense majorité des sanctions se réduit à des punitions à faire signer ou à des détours par le couloir.»Encore un bon point pour aujourd’hui.
(1) Qui s’appuie sur les travaux du chercheur Bernard Douet, conduits en 1980 sur les punitions à l’école.
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