Agée de 10 ans, Sandra (le prénom a été changé) a des difficultés d’apprentissage et d’attention à l’école. Ce 1er juillet, elle vient consulter le psychiatre Eric Acquaviva, à l’hôpital Robert-Debré (Paris). La fillette paraît intimidée, répond doucement aux questions.
Depuis le CP, elle est suivie par une psychomotricienne, une orthophoniste, et a une assistante de vie scolaire (elle a dû redoubler le cours préparatoire et va entrer en CM1), mais aucun diagnostic n’a à ce jour été posé. Inquiète, sa mère voudrait savoir. Petit à petit, le docteur Acquaviva remonte le fil. « On va mettre des mots sur les difficultés et essayer d’être plus précis », avance-t-il prudemment. Sandra est souvent stressée, par « l’école, les notes, les copines ».
De plus en plus de parents consultent pour des troubles de l’attention et de l’hyperactivité. Ce sont souvent les problèmes scolaires et de comportement à l’école qui sont les déclencheurs. Certains, comme peut-être Sandra, seront diagnostiqués « TDAH », pour « trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ».
TERME GALVAUDÉ
Décrit sous la forme de cas d’instabilité motrice dès le XIXe siècle, le TDAH est apparu en 1994, dans la quatrième révision duManuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV). Sa définition avait été élargie. Mais ce terme est très souvent galvaudé. Que recouvre-t-il réellement ? En termes de diagnostic, de prise en charge ? Les avis sont partagés.
Ce trouble, qui n’est pas une maladie, se caractérise par une kyrielle de symptômes : un déficit de l’attention (l’incapacité de terminer une tâche, la distractibilité…), avec ou non une hyperactivité motrice et/ou une agitation incessante, l’impossibilité de tenir en place, et/ou une impulsivité caractérisée par le besoin d’agir, la difficulté à attendre, la tendance à interrompre les activités d’autrui.
D’autres signes sont souvent associés : troubles des apprentissages (langage, lecture), anxiété, dépression, « troubles des conduites » (agressivité, etc.). Ces enfants sont plus sujets aux comportements à risque à l’adolescence. Dans certains cas, ils ne sont pas ou peu invités aux anniversaires, finissent par être rejetés, à tel point que leur vie affective, sociale, ainsi que celle de leur famille s’en trouvent perturbées. L’enfant lui-même se sent dévalorisé. La fréquence et l’intensité des symptômes doivent être appréhendées.
UN TROUBLE QUI N’EST PAS HOMOGÈNE
Le TDAH est considéré comme le trouble mental le plus fréquent chez les enfants âgés de 4 à 17 ans. Aux Etats-Unis, un enfant sur dix serait concerné. Ce chiffre a explosé, passant de 600 000, en 1990, à 3,5 millions, en 2012, a dénoncé le New York Times. En France, on n’en est pas là, la prévalence atteint entre 3,5 % et 6 % des enfants de 6 à 12 ans, les garçons étant plus touchés que les filles, selon l’étude du pédopsychiatre Michel Lecendreux (parue en août 2011 dans le Journal of Attention Disorders). Le nombre de consultations en pédopsychiatrie a doublé en dix ans.
Comment établit-on un diagnostic ? Ce n’est pas facile, tant le trouble n’est pas homogène. « Dans le cas de Sandra, il y a des difficultés pour le langage écrit, et c’est de toute évidence une enfant en souffrance, anxieuse, inhibée, avec une mauvaise estime de soi », décrit le docteur Acquaviva. « La question du positionnement dans la fratrie – elle est l’aînée de quatre enfants, dont un frère en CE1 qui a de très bons résultats scolaires – se pose et devra être abordée en psychothérapie », ajoute-t-il. La chronologie des problèmes, de même que l’histoire de la naissance, y compris la grossesse, sont à prendre en compte. A l’issue d’une série de rendez-vous, de tests, le psychiatre posera le diagnostic de TDAH, ou pas.
« FOURRE-TOUT »
Le TDAH « reste une collection de symptômes, mais est-ce un diagnostic au sens médical, comme le diabète ? », questionne François Gonon, neurobiologiste, chercheur à l’université de Bordeaux. « Le TDAH est un fourre-tout », clame le psychiatre Patrick Landman, président de Stop DSM. Il appelle dans la pratique clinique à une approche au cas par cas. « Le TDAH n’est pas une entité clinique par la seule classification du DSM-V, publié en mai 2013, il demeure une nébuleuse », ajoute le psychiatre et psychanalyste Louis Sciara, directeur du Centre médico-psychopédagogique de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Il est fondamental d’écouter les symptômes de l’enfant. »« La désignation TDAH est un abus de langage », pour le docteur Bruno Harlé, médecin psychiatre au Centre hospitalier Le Vinatier de Bron (Rhône-Alpes).
Des chercheurs américains comme Michael Posner, spécialiste de l’attention et des neurosciences, considèrent que les troubles attentionnels sont très inconstants chez les enfants dits « TDAH », leurs causes pouvant être très diverses.
DIAGNOSTICS ERRONÉS
Constat partagé par la neuropsychologue Sylvie Chokron, qui dirige l’Unité vision et cognition à la Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild (Paris). « Un enfant peut donner l’impression d’avoir un trouble de l’attention mais cela peut venir du fait que celle-ci est mobilisée par autre chose, un souci, ou un apprentissage habituellement effectué de manière automatique (comme le déchiffrage de la lecture). Ici, elle ne l’est pas, et cela absorbe du coup toutes ses capacités attentionnelles. » « Avant de poser le diagnostic et de donner des traitements qui ne sont pas anodins, il faut vérifier que l’enfant n’ait pas d’autre difficulté, organique (visuelle, auditive), psychologique, cognitive, qui donnerait l’illusion d’un trouble de l’attention, de fait, très difficile à mesurer », poursuit Sylvie Chokron. L’enjeu est d’éviter des diagnostics erronés.
Le docteur Acquaviva ne partage pas cette opinion. Pour lui, « le risque est qu’à force de contester la réalité de ce trouble, qui pourtant est bien décrit cliniquement, il y ait une profonde méconnaissance et un manque de formation qui génère un sous-diagnostic ». « Seuls 10 % des enfants seraient alors pris en charge. Pourtant, plus on intervient précocement, plus on évite les traitements », pointe le professeur Richard Delorme, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Robert-Debré.
PROBLÈME DE « SANTÉ PUBLIQUE »
Pour Olivier Revol, chef du service de neuropsychiatrie de l’enfant à l’Hôpital neurologique au CHU de Lyon, ce trouble, qui« concerne à peu près un enfant par classe », est même « un véritable problème de santé publique ». Derrière ces querelles de spécialistes se joue aussi la prise en charge médicamenteuse.
Les effets du méthylphénidate, commercialisé en France sous le nom de « Ritaline » ou « Concerta LP » et « Quasym », qui agirait sur le cerveau en augmentant la concentration de dopamine (neurotransmetteur de la récompense), ont été évalués à court terme. « Le médicament peut avoir une efficacité spectaculaire, il est même un des psychotropes les plus efficaces. Les symptômes disparaissent chez certains patients. Mais une véritable polémique existe sur les effets concrets en termes d’amélioration des apprentissages ou du bien-être des patients », écrit le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre, chercheur à l’Inserm, dans la revue Esprit de janvier 2014.
MARKETING DES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES
« Plusieurs études américaines ayant suivi de très larges cohortes d’enfants pendant des années montrent que le traitement par ces stimulants ne présente aucun bénéfice à long terme », précise le neurobiologiste François Gonon. « Or, on voit actuellement une réelle tentation d’élargir les possibilités de prescription, voire d’envisager un dépistage systématique des troubles attentionnels au même titre que l’on dépiste les troubles visuels. Céder à cette voie serait tout sauf anodin », explique le professeur Falissard.
L’augmentation de la prescription de ce psychostimulant, que d’aucuns attribuent au marketing des laboratoires pharmaceutiques, est dénoncée par de plus en plus de cliniciens américains. Même si on est loin des Etats-Unis, où la consommation de méthylphénidate a été multipliée par 20 en trente ans, les prescriptions augmentent en France. A fin mai (439 188 boîtes vendues), elles étaient en hausse de 35 % par rapport à 2008, selon l’Assurance-maladie. Comme le dit Bruno Falissard, « prescrire, c’est indiquer à l’enfant ou à l’adolescent qu’il a une maladie, donc qu’il est malade. Le plus souvent, tout le monde ou presque est bienveillant, mais il y a toujours quelque chose qui teinte le regard porté sur l’enfant ».
LONGUES ERRANCES DES FAMILLES
A l’inverse, le fait de poser un diagnostic peut rassurer les familles, qui racontent de longues errances. Ainsi, dans les faits, il faut souvent des mois pour obtenir un rendez-vous, les services de psychiatrie manquant de moyens. Selon une enquête réalisée par l’association HyperSupers – TDAH, le temps moyen d’accès au diagnostic est de 31,7 mois. « Beaucoup trop, selon Christine Gétin, présidente de l’association, car un tel délai a des conséquences sur les redoublements, les exclusions scolaires. »
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Pour remédier à cette situation, la Haute Autorité de santé (HAS) va rendre publiques, à la fin de l’année, des recommandations pour le repérage du TDAH afin d’aider les médecins de premier recours à y voir plus clair et soutenir les familles. Un premier document a été rendu public en mai, et mis en débat. « Il faut éviter le non-diagnostic et favoriser le plus tôt possible une prise en charge »,indique Christine Revel, chef du service des bonnes pratiques à la HAS.
DÉCLIN DE L’AUTORITÉ PARENTALE
Quant aux origines, si le DSM-V l’inclut dans le chapitre « troubles neurodéveloppementaux », l’étiologie n’est pas très claire, comme pour de nombreuses maladies mentales. « Les études récentes montrent que les prédispositions génétiques jouent un rôle mineur par rapport aux facteurs sociaux et environnementaux, notamment les traumatismes psychiques de l’enfance, ou le temps passé devant des écrans », estime François Gonon. « Dire que le TDAH est une maladie du cerveau, c’est faux. Dire que la société fabrique du TDAH, c’est vrai », tranche le chercheur.
Il peut aussi y avoir une pression de la société – des parents à bout, de l’école qui accorde de moins en moins de place aux enfants agités, peu concentrés – qui pousse à la médicalisation. L’attente par rapport aux résultats scolaires est aujourd’hui plus forte. « J’ai récemment vu une maman hyperactive, dont la fille présente un déficit de l’attention sans en être gênée. La mère souhaitait lui donner un médicament pour qu’“elle soit au mieux de ses capacités” », décrit le professeur Falissard.
Certains praticiens évoquent aussi le déclin de l’autorité parentale. Au-delà des controverses de diagnostic, d’appellation, de prise en charge, des enfants et des parents sont en souffrance. Les difficultés existent et ne doivent pas être minimisées, il y a consensus là-dessus.
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