Un métier solitaire qui s’exerce dans des schémas assez traditionnels : la deuxième édition de l’étude Talis sur l’enseignement et l’apprentissage au collège, publiée en juin par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), souligne les spécificités de l’enseignement à la française. Eric Charbonnier, analyste à l’OCDE, livre les principaux enseignements de cette enquête de grande ampleur (plus de 100 000 professeurs interrogés, originaires de 34 pays ou économies, dont 3 000 en France).
Qu’est-ce qui singularise les pratiques pédagogiques en France ?
A la lecture de cette enquête, on a l’impression qu’il existe, en France, une seule façon d’enseigner : les professeurs doivent suivre un programme scolaire dont le caractère encyclopédique et la lourdeur les obligent à passer rapidement d’une notion à une autre. Ce système fonctionne bien pour une élite, mais il n’est pas adapté aux élèves en difficulté. Dans d’autres pays, les pratiques apparaissent plus hétérogènes : les enseignants acceptent d’avoir dans leur classe des élèves de niveaux différents, ils savent varier les approches et adapter leur pédagogie au rythme de chacun.
Les enseignants français sont ainsi nettement moins nombreux que leurs collègues étrangers à varier leur pédagogie selon les profils d’élèves – en donnant, par exemple, des exercices différents aux élèves en difficulté et à ceux qui progressent plus vite. Seuls 22 % des professeurs français disent le faire souvent ou très souvent, contre 44 % en moyenne Talis, 63 % en Angleterre. Les enseignants français sont également moins nombreux à utiliser les technologies numériques (24 % contre 37 % en moyenne Talis et jusqu’à 74 % en Norvège et au Danemark). Ils font aussi moins travailler les élèves en petits groupes, sur des projets, et se réfèrent moins à des problèmes de la vie courante pour aborder des notions.
Comment expliquer ce manque de flexibilité ?
On sait que la formation des enseignants est au cœur des systèmes qui fonctionnent bien. Les professeurs français maîtrisent leur matière puisque 90 % s’estiment bien, voire très bien formés aux connaissances théoriques de leur discipline. En revanche, en ce qui concerne les pratiques en classe, les lacunes sont élevées : quatre enseignants sur dix ne se sentent pas du tout préparés au volet pédagogique du métier, contre seulement un sur dix en moyenne Talis : c’est la proportion la plus élevée des 34 pays participants ! La France ne brille pas non plus sur le plan de la formation continue : elle est moins fréquente, elle dure moins longtemps et elle n’est pas ciblée sur les besoins – l’utilisation des nouvelles technologies ou les méthodes pour gérer des classes hétérogènes, par exemple.
Les enseignants français semblent en outre insuffisamment accompagnés tout au long de leur carrière. Pourquoi ?
Dans les établissements, les enseignants français sont livrés à eux-mêmes. Ils collaborent très peu entre collègues. Leur évaluation et les commentaires qu’ils reçoivent en retour viennent presque toujours de personnes externes à l’établissement comme les inspecteurs. Le tutorat entre pairs n’existe que pour les enseignants débutants : seuls 2,5 % des établissements proposent ce dispositif à tous les enseignants, quelle que soit leur ancienneté, contre 25 % en moyenne Talis. Ce n’est pas le cas au Canada ou à Singapour, où les enseignants vont chaque année observer des collègues à l’intérieur de leur classe et où ils sont aussi évalués par le chef d’établissement.
Comment expliquez-vous que de nombreux pays aient réussi à faire évoluer leur école, alors que la France semble paralysée par une force d’inertie ?
C’est effectivement le constat que fait l’OCDE. Les pays qui sont cités en exemple et qui parviennent le mieux à faire réussir leurs élèves ont connu une réforme profonde de leur éducation – l’Allemagne, le Portugal, l’Estonie, pour ne citer que des pays européens. Depuis dix ans, le Portugal a ainsi mis en œuvre une série de mesures pour lutter contre l’échec scolaire : formation des enseignants, soutien financier aux établissements difficiles, recrutement d’animateurs pour assister les enseignants en classe, utilisation du numérique pour diversifier les pratiques… En France, on voit passer des microréformes, indépendantes les unes des autres, des petites avancées, des retours en arrière. Il n’y a pourtant pas de fatalité : des progrès rapides sont possibles. Avec un objectif clairement défini, un débat consensuel, du courage politique et une dizaine de réformes (formation des enseignants, rythmes scolaires, programmes…), on pourrait aboutir à une école plus équitable et ainsi réduire l’échec scolaire.
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