LE MONDE |
Par Pascale Robert-Diard
Le hasard, ce jour d’avril 2012, fut une chance. Alors que l’actualité se concentrait sur un immeuble de Toulouse dans lequel
Mohamed Merah, encerclé par le RAID, vivait ses dernières heures, on assistait à l’autre bout du pays, devant la cour d’assises de Douai, au procès d’une femme battue qui avait tué son mari. L’avocat général Luc Frémiot tenait le siège de l’accusation. Dès le début de son réquisitoire, on a senti qu’il se jouait là quelque chose de rare et l’on a maudit le stylo qui ne filait pas assez vite sur les pages du carnet pour retranscrire la conviction qui émanait de ses paroles.
Dix années d’un combat souvent solitaire contre les violences faites aux femmes s’incarnaient soudain dans cette accusée, mère de quatre enfants, qui était aussi la victime frappée, humiliée, violée de celui qu’un soir elle avait poignardé. Lorsque Luc Frémiot a requis son acquittement, il y avait autant de compassion à l’égard de cette femme que de rage contre tous ceux qui avaient échoué à prévenir ce drame.
DE FRAGILES AVANCÉES
Le récit de ce procès et celui du long combat contre les violences conjugales que Luc Frémiot a mené dans ses fonctions de procureur de la République de Douai (Nord) nourrit l’un des chapitres de Je vous laisse juges. Le bilan qu’il en dresse est mitigé. S’il exprime la fierté d’avoir alerté et agi contre ce fléau bien au-delà de sa juridiction, il mesure aussi, avec la lassitude d’un Sysiphe, combien sont fragiles les avancées obtenues.
Cette mélancolie teintée d’amertume se retrouve dans les autres chapitres de son livre. Sa déjà longue expérience de magistrat confronté à la tragédie quotidienne des affaires criminelles jugées aux assises a eu raison des idéaux avec lesquels on entre dans la carrière. A « l’angoisse »qu’il lit dans les visages de ceux qui sont confrontés à la justice, il a moins de réponses à apporter que de questions. Sa place d’« avocat de la société », un titre qu’il préfère à celui de procureur ou d’avocat général, le porte à se situer du côté des victimes, « les grandes oubliées »de la justice.
Cette fonction a aussi distendu les liens noués avec plusieurs avocats de la défense, sur lesquels il pose un regard sévère. A ces pages de règlements de comptes, on préfère les croquis souvent drôles que Luc Frémiot fait de ses collègues magistrats. De ce livre, on retient surtout sa sincérité. Celle qui le fait s’interroger sur l’envie de raccrocher sa robe d’avocat général et qui lui fait écrire qu’à chaque nouveau procès d’assises, lorsque la cour et les jurés ont suivi ses réquisitions de peine, il éprouve ce mélange complexe « de satisfaction intellectuelle et de grand désespoir ».
Je vous laisse juges
par Luc Frémiot
Michel Lafon, 298 pages,
par Luc Frémiot
Michel Lafon, 298 pages,
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