Le site Internet de l’Institut national de l’audiovisuel réserve des pépites insoupçonnées. Ainsi suis-je tombé, via Twitter, sur un entretien mené par Pierre Desgraupes avec Roland Barthes au moment que paraissait son fameux recueil d’essais, Mythologies(1957).
En visionnant ce document (www.ina.fr/video), ma première surprise a été de voir et d’entendre l’écrivain en mouvement – alors que j’en connaissais surtout des portraits photographiques ou des enregistrements radiophoniques – et à un encore jeune âge.
A l’époque (29 mai 1957) de cette émission (« Lectures pour tous »), Barthes a 42 ans, ce teint mat d’homme du Sud-Ouest qu’il sembla perdre avec l’âge et à mesure que le fond de déprime flottante qui semblait toujours l’accompagner prenait le dessus. A vrai dire, sur ces images en noir et blanc restaurées, Barthes a presque l’air d’un Indien au teint olivâtre. Et sa séduction est d’autant plus frappante que rien, dans son ton et son attitude, ne cherche à séduire.
Il y a dans l’expression et l’intonation de l’écrivain une neutralité feutrée qui semble l’envers paradoxal de la virtuosité brillante et maniériste dont témoigne si souvent son écriture. On peut y entendre la « patine » que Barthes admirait dans l’art « sans intention » du baryton Charles Panzéra (avec qui il étudia le chant et qu’il évoque dans un chapitre de Mythologies) et qui manque à sa langue livresque.
Pierre Desgraupes, il y a presque soixante ans, était d’un naturel parfait : cigarette à la main, affable, d’une décontraction savamment dosée, destinée, on l’imagine, à amadouer le téléspectateur qui pourrait se laisser intimider par ce livre qui défraya la chronique et déclencha des guerres intellectuelles restées longtemps fameuses. Installé un peu en surplomb, on dirait le journaliste nonchalamment assis sur un coin de son bureau, comme le fera si fameusement Yves Mourousi vingt-cinq ans plus tard…
Mais ce n’est pas ce détail avant-coureur qui donne l’impression que cette télévision-là n’a pas vieilli. C’est plutôt que ce qui est dit est si passionnant qu’on en oublie le cadre un peu austère. C’est aussi que, pendant neuf minutes, Barthes est interrogé sans être interrompu inutilement ou insolemment, sans être confronté à un chroniqueur moqueur et vain, sans être mêlé à des invités venus d’une autre planète.
Je ne suis pas certain que la France et le paysage audiovisuel d’aujourd’hui aient quoi que ce soit à envier à ceux de la fin des années 1950. Mais cette télévision qui n’avait pas peur de placer le propos plus haut que le niveau présumé de la compréhension du téléspectateur semble le reflet d’une civilisation passée. A moins que je ne souscrive à un mythe que je prends pour un âge d’or.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire