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vendredi 17 janvier 2014

Une femme pas très sage !

18/01/2014


Il est des vies qui semblent n’être qu’une vallée de larmes. A chaque épreuve succède une autre. A de nombreux égards, celle qui fait partie de la promotion du 1er janvier de la Légion d’honneur a traversé une telle existence. Pourtant, ce n’est pas le sentiment de tragédie qui nous étreint d’abord en lisant les articles qui lui ont été consacrés ces dernières années. Ce que l’on retient avant tout c’est un rire, énergique, obsédant, presque rageur. Et puis, tout de suite après, quelque chose qui n’a pas vraiment de nom et qui pourrait s’appeler le courage, la revanche sur la vie ou plus simplement la force.

Au-delà des nuages gris

Dès la naissance, Béatrice Idiard-Chamois souffre d’une amblyopie très sévère. Sa mère refuse qu’elle fréquente les institutions pour jeunes aveugles et la petite fille est sans cesse l’objet de brimades de la part de ses camarades et professeurs. Ce handicap  et d’autres symptômes ne trouvent leur explication que lorsqu’elle est âgée d’une douzaine d’années : les médecins diagnostiquent un syndrome de Marfan. La discrimination, la peur, la maladie auraient pu pousser Béatrice Idiard-Chamois à la prostration. Au contraire, elle va s’ingénier à tenter tout ce que sa pathologie semble lui interdire. Après avoir bénéficié d’une intervention de la cataracte (qui ne lui permet cependant d’acquérir qu’un niveau d’acuité visuelle très faible) elle cherche la carrière interdite. «Je voulais être météorologiste dans la marine !... Je ne sais pas pourquoi. Par provocation.
A cause du prestige militaire. Et puis, j’aimais bien le costume » avait-elle raconté l’année dernière aux journalistes d'Histoires ordinaires. Bien qu’elle ait été reçue au concours (voire parce qu’elle y avait été reçue !), elle renonce à ce rêve pour des ambitions plus difficiles à atteindre encore. Ce sera médecine et finalement, après l’échec en première année, sage femme. Les études sont difficiles ; l’hostilité de son entourage et de ses professeurs s’affiche clairement. Ces derniers auraient pu croire qu’un dramatique accident allait avoir raison de l’entêtement de Béatrice Idiard-Chamois : alors qu’elle n’a pas achevé son cursus, elle est victime d’une dissection aortique. Mais la jeune femme, têtue, obtient son diplôme. Son embauche va connaître de nouveaux obstacles, certains tentant de s’opposer à son intégration au sein de l’AP-HP. Finalement, grâce au soutien d’un médecin du travail, on lui trouve des vacations et elle finit par être admise à l’Institut Montsouris.

Un défi peut en cacher un autre

Après ce premier combat, Béatrice Idiard-Chamois va en mener un autre plus personnel : elle veut devenir mère. Plus encore que lors de ses études de sage-femme, les réticences du corps médical apparaissent catégoriques. On lui rappelle les risques de transmission de la maladie, les difficultés d’élever un enfant lorsqu’on est atteint d’une affection grave, les risques de complications obstétricales et enfin on s’attend à ce que sa position de sage-femme lui permette plus qu’une autre de comprendre cette argumentation. Que nenni, Béatrice Idiard-Chamois veut mener à bien sa grossesse. L’accouchement par césarienne d’une petite fille (indemne du syndrome de Marfan et qui a aujourd’hui 20 ans) est suivi d’une hémiplégie qui sera mal diagnostiquée et confondue avec une «migraine avec aura. J’ai donc été traitée avec de la dihydroergotamine à forte dose » avait elle raconté il y a quelques années à Vocation Sage femme. Pour elle, ce traitement erroné aurait favorisé l’infarctus médullaire dont elle a été victime quelques années plus tard en 1999. Survenu à l’Institut Montsouris (IMM), ce nouvel accident ne la fera pas renoncer plus que les précédents à sa mission. Si elle ne réalise plus d’accouchements depuis quelques années, Béatrice Idiard-Chamois continue à assurer les consultations. Ainsi se rend-t-elle chaque jour à l’IMM dans son fauteuil roulant, effectuant les voyages de chez elle à l’Institut en train.

Un cobaye très complaisant

Mais ce n’est pas parce qu’elle est une sage femme handicapée que Béatrice Idiard-Chamois a reçu  la Légion d’honneur. Si l'engagement pour lequel elle est ainsi distinguée est évidemment lié à son histoire personnelle et à son expérience professionnelle, il a trouvé son avènement lors d'un colloque organisé par l'AP-HP en 2003 à l'initiative de la journaliste Delphine Siegrist, intitulé « Vie de femme et handicap moteur - sexualité et maternité ». Cette rencontre a permis une véritable libération de la parole sur ce sujet : guide, livre, plaquette précisant l’accessibilité des maternités, beaucoup d’actions sont menées. Elles restent cependant totalement insuffisantes pour l’insatiable Béatrice Idiard-Chamois. Elle décide alors de se former elle-même à ce sujet, allant même jusqu’à apprendre le langage des signes. En 2006, elle se sent suffisamment armée pour franchir le pas et suggérer à son chef de service, le docteur Cohen,  d’ouvrir une consultation d’obstétrique dédiée aux femmes handicapées. Le praticien donne son accord pour le projet et les travaux commencent. Il faut par exemple concevoir des chambres adaptées (« Je faisais le cobaye ! » se souvient toujours riant Béatrice Idiard-Chamois ), travailler avec des puéricultrices spécialisées dans le domaine du handicap ou encore faire l’acquisition d’une table de consultation adéquate. Bientôt, les premières patientes peuvent être accueillies. Entre 2006 et 2010, une quarantaine de femmes ont ainsi pu être suivies : la première avait été refusée par une maternité s’étant pourtant déclarée comme accessible.

La vie comme une revanche

Béatrice Idiard-Chamois, fière de sa légion d’honneur (qu’elle a demandée bien que persuadée de ne pouvoir l’obtenir) ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Sa nouvelle mission est l’ouverture récente d’une consultation de gynécologie dédiée aux femmes souffrant de handicap, un besoin pressant quand on sait que 10 % des patientes dans cette situation ne connaissent aucun suivi gynécologique. La sage-femme souhaite également dans l’avenir pouvoir s’ouvrir davantage aux besoins spécifiques des femmes présentant un handicap mental. En attendant, Béatrice Idiard-Chamois, chewing-gum constamment en bouche et gouaille rieuse de rigueur ne cache pas sa fierté face au travail déjà accompli. « Je suis la première sage-femme à avoir fait cette consultation en France et je le revendique ! », déclarait-elle aux journalistes d’Histoires ordinaires.
Ce sentiment n’est pas dénué de tout esprit de revanche à l’intention de tous ceux qui n’ont voulu voir en elle qu’une victime. Comment le lui reprocher.
Aurélie Haroche

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