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lundi 21 janvier 2013

United States of Marijuana

LE MONDE | 


Un homme souffle de la fumée de cannabis lors d'une manifestation pro-marijuana à l'université du Colorado, le 20 avril.

C'est ce qu'on pourrait appeler un job de rêve. Critique de marijuana. Chaque semaine, William Breathes publie le compte rendu de ses dégustations de cannabis dans le magazine Westword, de Denver, Colorado. Où l'on découvre qu'il n'y a pas une marijuana mais toutes sortes de variétés d'herbe portant des noms exotiques : Pineapple Express, Purple Passion (pas d'"éléphant rose" mais du "rhino blanc ").
"Breathes" (un nom d'emprunt) a été en 2010 le premier critique de marijuana des Etats-Unis. Il s'agissait alors de marijuana médicale, le Colorado étant l'un des dix-huit Etats ayant autorisé la drogue douce à des fins thérapeutiques. Dans l'une de ses premières critiques, William Breathes a confessé son propre étonnement d'être payé pour "se défoncer" et se procurer sa consommation hebdomadaire sur notes de frais. Quoique le job n'aille pas sans responsabilités. "Il faut quand même que j'écrive, que je tienne les délais, et j'ai des rédacteurs en chef", assure-t-il. Pour Noël, le journaliste a fait une liste de suggestions de cadeaux. En tête : le joint électronique, un inhalateur de la taille d'un stylo (on le trouve sur le site GotVapes.com).
La marijuana médicale a été un grand succès dans le Colorado, un Etat qui n'a pourtant pas l'air de se porter trop mal (le taux d'obésité est l'un des plus faibles du pays). Plus de 107 000 "patients " ont obtenu une carte leur donnant droit de consommer, et il y a désormais davantage de dispensaires de cannabis que de cafés Starbucks.
Les ventes sont estimées à 200 millions de dollars (environ 150 millions d'euros) cette année - dont plusieurs millions pour l'administration fiscale qui s'enrichit, n'en déplaise à la justice. Les producteurs ont eu l'intelligence de travailler avec les autorités pour éliminer les brebis galeuses (la licence coûte 18 000 dollars et sert à financer la division spéciale mise en place par les forces de l'ordre).
Vu le succès du "médical ", le Colorado a franchi l'étape suivante et légalisé, le 6 novembre (en même temps que l'Etat de Washington), la possession d'une once de marijuana . Le vote a été acquis à une majorité de 250 000 votes, soit plus que l'avance de Barack Obama sur son rival républicain Mitt Romney lors de la présidentielle.
Le gouverneur démocrate John Hickenlooper a pris acte de la décision et promulgué la loi Réglementer la marijuana comme l'alcool , sans cacher que son application allait être "compliquée""D'après la loi fédérale, la marijuana continue à être une drogue illégale, a-t-il mis en garde. Alors ne sortez pas trop vite vos paquets de Cheetos ou de Goldfish [les crackers qu'aiment grignoter les fumeurs de joints]. "
Depuis, une certaine cacophonie préside. La police locale a rappelé qu'elle n'est pas directement chargée de faire appliquer les lois fédérales. Mais dans les comtés qui ont voté contre la légalisation, les procureurs ont refusé d'abandonner les poursuites. Plusieurs municipalités ont pris les devants et interdit les points de vente, tout en autorisant les résidents à posséder 6 plants dans un endroit fermé. L'administration Obama marche sur des oeufs. Dans son unique commentaire sur le sujet, le président, lui-même un grand fumeur dès son adolescence à Hawaii, n'a pas eu l'air pressé de sévir. "Nous avons d'autres chats à fouetter", a-t-il dit. Et les Américains sont d'accord : 64 % d'entre eux jugent que le gouvernement fédéral n'a pas à se mêler de la légalisation à l'échelon local.
A Denver, on en est déjà à l'étape d'après. Celle de la réglementation. Aux termes de la loi, les acheteurs et consommateurs doivent être âgés de plus de 21 ans. Il est interdit, comme pour le tabac, de fumer dans les endroits publics. Et, comme pour l'alcool, de conduire sous l'emprise de la substance (un projet de loi fixe la limite à 5 nanogrammes de THC - tétrahydrocannabinol, le principal composant psychoactif - par millilitre de sang). Début janvier, l'assemblée du Colorado va commencer à étudier les modalités de régulation du marché. Peut-être limitera-t-on la puissance du THC autorisé. Quid du transport ? Les agents de la sécurité aérienne ont indiqué que les voyageurs peuvent prendre l'avion avec leur consommation personnelle, mais seulement s'ils vont du Colorado à l'Etat de Washington...
La perspective de légalisation a entraîné une ruée sur le "nouvel or vert". Le business est là, avec ses hommes d'affaires en costume-cravate et sa holding cotée en Bourse. C'est la bulle de demain, ditNewsweek, qui a pu visiter les entrepôts de la banlieue de Denver où est cultivée l'herbe, à lumière artificielle (musique classique ou hard rock, selon ce qui réussit le mieux à la plante). Le secteur n'a plus rien de baba cool. Les variétés ont des noms de cuvées spéciales. "Reserva Privada". Les dispensaires présentent l'herbe dans des bocaux transparents sur des comptoirs de carreaux blancs. Dans l'un de ces "pot palaces", centres de relaxation autant qu'épiceries fines, on peut acheter des barres chocolatées, des céréales, des hot dogs, le tout au cannabis. Et une boisson gazeuse : Dixie Elixirs (huit parfums, de pêche à grenade).
L'industrie du tabac est aux aguets, prête à se reconvertir. Philip Morris aurait loué des entrepôts dans le secteur. Selon un sondage Gallup de novembre, le nombre d'Américains favorables à la légalisation (46 %) a doublé en quinze ans. Le pays reste divisé, mais la fin de la prohibition est en marche, si on en juge par le laboratoire du Colorado.
lesnes@lemonde.fr

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