Un ancien commandant de police dénonce « l’imposture du tout sécuritaire »
Après six ans dans la marine, Serge Supersac est entré dans la police comme simple gardien de la paix en 1979 et il l'a quitté en 2010 avec le grade de commandant. Il a travaillé dix ans au sein de la BAC de Seine-Saint-Denis et treize ans chez les CRS (dont il a commandé la compagnie n°7 à Deuil-la-Barre). Affecté en fin de carrière à l’Institut National des Hautes Études de Sécurité, il a participé avec de jeunes chercheurs à l’amélioration de la connaissance en matière de sécurité au travers de nombreuses missions d’études. Aujourd’hui jeune retraité, il continue à travailler sur les questions de délinquance et sur la relation police-population. Il s'était déjà fait connaître du grand public l'année dernière en cosignant avec Stéphane Gatignon (maire de Sevran en Seine-Saint-Denis) un ouvrage intitulé Pour en finir avec les dealers (Grasset, 2011). Il ouvre aujourd'hui un site Internet mettant en ligne son dernier manuscrit « Délinquance, l'imposture du tout sécuritaire ! ».
Dans ce travail, Serge Supersac estime qu'il existe des solutions pour endiguer la « petite et moyenne délinquance » qui empoisonne la vie quotidienne, des solutions basées sur l'expérience et qui ne coûtent pas cher. Il plaide pour la reconstruction d'une grande police administrative, c'est-à-dire une police de la voie publique, en inventant un système intégré entre police et gendarmerie nationales, polices municipales et agents de sécurité privée. Selon lui, l'accent doit être mis sur les moyens de mieux identifier les auteurs et de simplifier le traitement judiciaire de cette délinquance de masse : « si l’on repose les termes de l’équation en matière de délinquance on se rend compte qu’il faut travailler sur l’amélioration du mode d’identification des infracteurs ce qui passe par une surveillance moins aléatoire des secteurs. De même en sachant que l’administration de justice se révèle incapable de gérer les infractions de masse, d’autant que le phénomène de judiciarisation ajoute encore au trouble, il est nécessaire de se diriger vers un autre type d’administration de la justice ». Mais il estime également qu'« une meilleure sécurité ne pourra se réaliser sans l’implication des citoyens aujourd’hui tenus à l’écart ».
Une forte critique du sarkozysme policier
Or le constat dressé par le policier sur ces dernières années est amer : « Aujourd’hui dans le pays la relation entre la police du quotidien et les administrés est mauvaise. Alors que paradoxalement l’émergence de la délinquance de masse et de ses affres rendait l’opinion publique plus compréhensive par rapport aux difficultés du métier de la sécurité générale, le dernier épisode débuté en 2002 a creusé un fossé entre une force de sécurité à la recherche "d’affaires" et non plus de paix civile et une population qui, piégée par le discours offensif et volontariste, n’a pas vu la situation s’améliorer ». Il est selon lui plus que temps d'inverser la tendance : « Pour obtenir une force de sécurité efficace en matière de délinquance générale il faut laisser l’initiative aux policiers du terrain et l’osmose avec la population ne peut être considérée comme une perte de temps mais au contraire comme un investissement garantissant la connaissance parfaite des administrés et de leurs problèmes qui, une fois le bon diagnostic posé, peuvent se résoudre. La valorisation de "Pinot simple flic" est le passage obligé pour une meilleure sécurité et c’est l’effet induit des expériences de police de proximité qui a permis d’obtenir les succès enregistrés ».
On laisse aux lecteurs intéressés le soin de découvrir le détail et se faire une opinion sur les arguments de Serge Supersac. Notons pour terminer que son texte est aussi une charge très forte contre le sarkozysme policier mis en place après 2002 et la façon dont il s'est acquis le soutien d'une partie de la hiérarchie. « Aujourd’hui, lorsque j’écoute le discours martial des ministres de l’intérieur qui veulent mener la guerre à la drogue, aux bandes ou à la délinquance, je me dis que l’on ne retient pas des leçons de l’histoire et que cette élite suffisante perdure dans ses erreurs stratégiques alors que la connaissance des phénomènes en matière de sécurité progresse constamment. Le discours va t'en guerre qui a commencé par "le karcher" et qui se poursuit va encore une fois nous conduire dans le mur en sacrifiant au passage des dizaines de milliers de destins, ceux des soldats de la paix empêtrés dans les contradictions entre la réalité de la situation et la mauvaise stratégie imposée et ceux des jeunes égarés sur la voie de la délinquance tant elle s’impose plus facilement grâce précisément aux carences en matière de sécurité », écrit l'ancien commandant de police.
Ce dernier se demande aussi si le pays ne serait pas un peu « malade de son élite ». Les mots sont durs : « Lorsque j’ai vu les "généraux de la police" s’affubler de galons qui s’apparentent à ceux des généraux militaires, lorsque j’ai vu le directeur du renseignement mis en examen accusant le directeur général de lui avoir donné un ordre illégal, lorsque j’ai vu une éminence grise pur produit du système des connivences politiques devenir ministre et s’empêtrer dans des discours qui n’ont d’autres buts que de désigner des boucs émissaires, roms, bandes, immigrés, etc., je me suis dit qu’il était nécessaire d’apporter une contribution au débat pour informer une opinion publique que l’on a trop souvent trompé par le passé en matière de sécurité. Cet ouvrage est donc en ce sens "militant" mais non "idéologique", juste citoyen afin que la sécurité des Français ne soit pas confisquée par des lobbys politico-administratifs qui finiront par la déléguer au domaine privé ». Durs, mais peut-être justes.
Illustration : archives-lepost.huffingtonpost.fr et letelegramme.com
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