Bordeaux
Les passagers de la nuit
Guy Laurent, médecin à SOS Médecins, défend l'indépendance et la permanence d'un groupe.
Guy Laurent au Grand-Parc : « Les pathologies après minuit sont plus lourdes. »
PHOTO PHILIPPE TARIS
En revenant j'ai rencontré mon épouse, psychiatre, psychanalyste. J'ai découvert SOS Médecins et j'ai adhéré tout de suite à cette façon d'être médecin dans la découverte et le mouvement.
Le cœur de métier
J'ai retrouvé la ville tranquille, sans excès. Il n'existe pas ici de quartiers difficiles, au sens de dangereux, même s'il est parfois difficile de vivre aux Aubiers, au Grand-Parc, Cenon, Lormont où se retrouvent les moins aisés. Il y a à Bordeaux un gros pourcentage de pauvres, y compris dans le centre historique. Les situations précaires sont discrètes. Exercer ce métier c'est aussi voir la réalité des gens sans travail qui n'apparaissent nulle part. 30 à 40 % de notre clientèle accèdent à la CMU. La supprimer reviendrait à les condamner à l'absence de soins, ce qui est déjà le cas, et à des affections beaucoup plus graves.
Notre réseau a évolué. SOS Médecins comptaient 15 membres en 1990. Nous sommes aujourd'hui 70. De ce point de vue, l'association de Bordeaux est l'une des plus denses de France, la deuxième. Nous sommes soucieux de garder une homogénéité, une rigueur, un souci égalitaire et une véritable indépendance. La demande a augmenté dans la population qui nous concerne, de 800 000 à 900 000 habitants. Nous effectuons 185 000 visites par an sur la CUB élargie, dont 30 000 entre minuit et 8 heures. On a dit que les patients souhaitaient être servis plus vite, disposer d'un confort de consommateur en quelque sorte. Mais il y a d'autres facteurs. Nous savons que la demande suit l'accroissement de la démographie. Et que la vie des médecins traitants, souvent débordés, a évolué. Ils ne veulent plus être corvéables.
Bordeaux a connu un chambardement, pourtant les lieux animés sont les mêmes. La Victoire et la gare n'ont pas changé. Saint-Pierre bouge jusqu'à minuit. Nous avons beaucoup de mal à y circuler avec les terrasses. Les pathologies liées à la fête sont peu nombreuses. Nous les percevons plutôt au commissariat dans la nuit de vendredi à samedi par exemple, pour des bagarres. Nous établissons un certificat médical afin de prendre acte que la garde à vue n'est pas contre-indiquée.
Il arrive souvent en revanche que les parents nous appellent pour des enfants trop alcoolisés.
Les pathologies après minuit sont plus lourdes. La nuit amplifie les angoisses. C'est très important pour le diagnostic de voir un patient dans son cadre de vie. Là nous sommes dans notre cœur de métier. 80 % de ces patients ne sont pas hospitalisés parce qu'une solution est trouvée. Nous évitons donc l'engorgement des hôpitaux. Les médecins eux-mêmes nous sollicitent pour que nous prenions en charge leurs patients. Nous sommes vraiment complémentaires.
Même s'ils sont débordés, les médecins ne manquent pas et le pôle médical bordelais conserve une belle image. Il suffit de voir les gens du voyage qui viennent de toute la France se faire soigner à Pellegrin ou à Haut-Lévêque, dont les services sont réputés. On sait moins que nous possédons peut-être les meilleurs psychanalystes de France.
Bordeaux est une ville paisible qui a vécu une révolution, sauf culturelle. Tant d'années après, nous continuons de parler de Sigma parce qu'il n'y a rien eu depuis. Le Festival de jazz a disparu. L'effet vitrine compte beaucoup. Après avoir cité Mollat, que fait-on ? Ce fond culturel manque à la vie. Je ne pense pas qu'elle se transforme en mégapole. Elle épaissira autour de la Garonne et je continuerai d'y garder les trois fils de ma vie : la médecine, la psychanalyse et l'escalade, avec Le Migou, mon club de Saint-Michel. En goûtant la nuit bordelaise. »
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