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dimanche 12 décembre 2010

La HAS se penche dangereusement sur … la dangerosité psychiatrique ce jour même.
Par guy Baillon

11 Décembre 2010

Le danger est maximal car la Haute Autorité de la Santé, a l’obligation de donner ce week-end des ‘recommandations’ pour que l’Etat ensuite impose en toute tranquillité à tous les français, à la justice, à la police et à la psychiatrie sa façon de réagir à la dangerosité et de la prévenir!
Mais pour ce faire nous constatons que la HAS fait l’impasse sur 40 ans de pratique de psychiatrie de secteur !

Cela signifie que le travail de 1127 équipes de secteur réalisé depuis 1972 est passé hier aux oubliettes ! Toutes ces équipes ont pourtant quotidiennement travaillé et réussi à désamorcer au quotidien les violences. Il n’en est pas tenu compte !
Ainsi de façon inattendue, sur commande de l’Etat, la HAS par un calme week-end de décembre, a fait plancher vingt experts devant une commission ‘ad hoc’ et un public trié sur le volet sur la ‘dangerosité’ avec la tâche de donner des ‘recommandations’ acérées le soir du 12 !

Le danger est extrême pour la psychiatrie de secteur, car si ces recommandations sont conformes à ce qui s’est passé le 10 décembre (seul jour public) la psychiatrie de secteur va être écartée de toute réflexion sur la violence pour des raisons dites scientifiques, comme nous allons le voir. On a du mal à le croire !

Le matin un travail "épidémiologique" a examiné la littérature … "internationale" portant sur la dangerosité psychiatrique des schizophrènes et des maniaco-dépressifs (ce ciblage est dangereux car il fait croire qu’il y aurait pour eux une spécificité du danger !). Il faut savoir que cette démarche "littéraire" est pour la France un piège car cette littérature n’accepte que des références internationales, et comme la psychiatrie de secteur n’existe qu’en France (les professeurs et chercheurs français s’ils veulent être publiés et être connus ne doivent jamais parler du secteur, et les étrangers encore moins) : donc « exit la psychiatrie de secteur de ce débat » ! Aucun auditeur n’a relevé cette énormité qui marque de son sceau la suite du débat.

Ce n’est que l’après midi qu’ont été entendues deux équipes françaises : -l ’une dont l’activité (remarquable) biaise aussi l’analyse car elle fait face à l’ensemble des urgences de Paris, ainsi les 50 équipes parisiennes font l’économie de la rencontre avec les urgences et avec les familles, elle leur enlève la capacité d’acquérir une compétence pour nouer des liens entre urgence et continuité des soins, - l’autre équipe à partir de sa seule expérience a proposé de réfléchir sur le second facteur causal de la violence : ‘le contexte’ dans lequel vit un malade précis. Question centrale, pourtant ce second facteur avait à peine été énoncé dans l’abondante littérature internationale, centrée sur la recherche d’une objectivité de la dangerosité. - De plus ces deux interventions étaient éclipsées par l’honneur réservé à nos amis canadiens qui on le sait n’ont jamais pu installer le secteur au Canada, et à une excellente prestation française sur la neuro-imagerie confirmant qu’il ne fallait pas compter sur elle pour "visualiser" une éventuelle survenue de violence (ouf).

Au total nous avons, en une journée, été obligés de suivre la "commande de l’Etat" voulant réduire le regard à ce qui cernerait une dimension ‘objective’ de l’appréciation de la dangerosité de ces deux troubles psychiques si violemment ciblés.
Il a été tout de suite critiqué par un acteur de Franche-Comté que la stigmatisation commence à partir du moment où l’on désigne une personne avec ‘une maladie’ (prétendue) au lieu de parler de "personnes présentant des troubles du type schizophrène ou maniaco-dépressif".

La question vaste, complexe, difficile, passionnante du "contexte" qui entraine vers une expression violente l’une de ces personnes n’a été abordée que tardivement et du bout des lèvres, comme très, très secondaire. De plus le contexte ‘immédiat’, c’est-à-dire l’attitude hostile, réticente ou accueillante de l’environnement, qu’il soit relationnel ou soignant, devant une personne en grande difficulté psychique n’a été ni évoqué, ni travaillé.

Il faut souligner que les deux notions fondamentales suivantes ont été abordées par les usagers seuls : - ainsi l’intérêt qu’il y a à parler, non pas de dangerosité, dont on sait qu’elle n’a reçu aucune définition scientifique, mais de « vulnérabilité » (terme associant la défaillance ou fragilité personnelle, avec le rôle évident de l’environnement et du contexte immédiat) ; ce terme a été apporté par la représentante des usagers, Claude Finkelstein ; - et la remarque fondamentale selon laquelle toute réponse donnée à une violence d’un patient trouve toujours son appui le plus fort dans la « proximité » (parce que c’est là que se concentrent la connaissance actuelle et passée de la personne, l’appréciation de ses liens, et l’espoir à venir) ; ce terme a été apporté par le représentant des familles, Jean Canneva.

Ainsi le drame de cette journée, réside dans le fait qu’aucun intervenant, aucun membre de la Commission "ad hoc" n’a évoqué la réalité : la France a accumulé une expérience "nationale" considérable de pratique de secteur, faite d’écoute de cette vulnérabilité et d’exercice de cette proximité : depuis 1972 dans 1127 équipes de secteur (830 équipes générales, le reste infanto-juvéniles) ; en 40 ans s’y sont succédées 2 à 3 générations de soignants divers qui ont acquis un ‘savoir-faire’ pluridisciplinaire auprès d’un million et demi de patients chaque année : Eh bien leur expérience n’a pas été prise en compte par l’HAS ce premier jour. Ni analysée, ni jaugée, ni approfondie !

De ce fait, dans l’évaluation que cherche à établir l’HAS, les biais sont nombreux, les manques d’analyse auront des conséquences préoccupantes sur les recommandations, en voici quelques uns : (outre le fait que le terme de dangerosité devrait être écarté car sans référence)
- absence d’un bilan historique mesurant l’effet de la pratique de la psychiatrie de secteur sur un pays entier de 65 millions d’habitants, seul exemple au monde (avec la Suisse !) ayant réalisé cette expérience et à même d’en mesurer le résultat, - absence d’une volonté déterminée de tenir compte dès le début des travaux de la seconde composante de la violence et de la vulnérabilité des personnes en souffrance psychique et de l’approfondir : le contexte entourant la survenue d’une violence : il est essentiel de préciser comment chacun d’entre nous réagit devant la folie, en fonction de quels facteurs
- absence d’analyse « qualitative » des actions qui permettent de diminuer ou éviter la violence (il ne suffit pas de comptabiliser les moyens, les soignants, ni les heures passées ; la qualité de la relation construite pour endiguer la violence est essentielle). L’étude de la « qualité relationnelle » qui est établie par un soignant et son équipe dans l’échange avec un patient et sa famille est une donnée "de base" de tout soin, agissant sur l’éventuelle violence. Nous avons tous appris que c’est là que se construit le soin, c’est là que la ‘confiance’, part indispensable du soin s’élabore, c’est là que commence la ‘continuité de l’attention’ portée à l’autre fondant le tissu sur lequel trajectoires de vie et trajectoire de soin  ‘interagissent’ ; n’est-il pas essentiel de s’interroger sur les facteurs qui favorisent cette ‘qualité’ ?
- absence d’évaluation de la violence vécue par tout patient engagé dans sa psychose et confronté aux réactions négatives de son entourage, lui qui pour se sauver de ses angoisses terrifiantes s’est accroché à la bouée d’une vision délirante du monde, sent alors son entourage et ses interlocuteurs hostiles ; il serait indispensable de savoir évaluer sa peur, laquelle à un moment peut se transformer en attitude défensive comprise comme agressive
- absence, un moment plus tard, de l’évaluation de la violence subie par cette même personne lorsqu’il lui est imposé de s’avouer malade ; les autorités parlent de refus de soin ! alors que la personne est dans la méconnaissance de ses troubles et vit cet ‘aveu’ d’être malade comme une perte d’identité profondément douloureuse
- absence d’évaluation de la souffrance des familles, celles-ci selon les dispositions légales actuelles (loi de 1990, et HDT), livrées à elles-mêmes, se sentent comme des accusateurs de leur enfant, ce que celui-ci leur renvoie ; il leur est demandé de commettre un ‘assassinat d’âme’, d’autant plus insupportable que la majorité du temps les équipes ne les éclairent pas ; les familles non reçues par les équipes sont une fois de plus abandonnées
- absence d’évaluation de la douleur des soignants, celles-ci prenant le relais dans ces mesures se sentent elles aussi accusatrices, et sont vécues comme telles par le patient
- absence d’évaluation des effets négatifs de la loi de 1990 sur l’internement, ses objectifs ont été contradictoires à ceux de la psychiatrie de secteur, en effet elle a désinvesti le travail de secteur pour tout concentrer sur la facilité de réaliser des hospitalisations sous contrainte, les directeurs ont fermé des structures de soin de ville pour renforcer les services d’hospitalisation. De ce fait la prévention a été abandonnée et a été favorisée l’arrivée des violences comme preuve justifiant les soins. Le résultat est là : les chiffres des hospitalisations sans consentement ne cessent de croitre depuis 1990
- absence au total d’évaluation de la capacité actuelle de chaque équipe de secteur pour répondre à la violence. Il serait en effet très pervers de ne pas tenir compte du fait qu’aujourd’hui de plus en plus d’équipes ne sont pas en état d’assumer de façon sereine leur travail, en particulier ne réunissent pas les conditions leur permettant d’affronter les violences des patients : - un certain nombre d’équipes n’ont pas assez de psychiatres (voire n’en ont plus !), d’infirmiers, -pas assez de structures de soins en ville, - pas assez de formation permanente, - n’ont pas pu mettre en route une réflexion théorique suffisante, -ni un travail d’accueil suffisant pour se concentrer sur l’objectif essentiel qu’est « la création d’un lien thérapeutique » suffisant et de bonne qualité pour chaque patient de sa file active, -ni une maturité lui permettant d’éviter certaines équipes de fuir vers des demandes inflationnistes de moyens. (Leur faire des recommandations sans réparer d’abord leur dégradation sera source d’escalade de violences, car les équipes seront de moins en moins disponibles),
- absence de toute évaluation de la non-adéquation des évaluations d’activités demandées par le Ministère de la Santé et par l’HAS à la mission de l’équipe de secteur ; il est demandé aux équipes de limiter leur analyse à l’activité hospitalière, alors que leur mission est la continuité des soins ; elles ne sauraient diviser leur activité en soins hospitaliers et autres, chaque soin pour un patient n’a de sens que dans la continuité de ses divers soins
- absence d’évaluation de l’augmentation des plaintes pour violence faites par les équipes soignantes, faisant penser à une recrudescence de violences ; alors que les analyses fines qui ont été faites (par exemple Patrick Chaltiel à l’observatoire de la violence de l’Hôpital de Ville-Evrard entre 1999 et 2003) montrent que ces plaintes plus nombreuses ne sont pas le signe d’un plus de violences, mais d’un désarroi croissant des soignants depuis 1990, en raison -du démantèlement progressif de certaines équipes, -de l’écrasement par des évaluations calquées sur la médecine et les USA, -de l’assassinat médiatique de la psychiatrie par les médias, -de la formation uniquement biologique des nouveaux psychiatres.

N’y a-t-il donc aucune donnée qui puisse être travaillée, hors des interviews directes des 1127 équipes de secteur, sur leur activité depuis 1972 pour près d’un million et demi de patients chaque année ? C’est inexact !
En effet chaque équipe de secteur établit un rapport d’activité annuel, certes avec les critères secs et inadéquats de l’administration, mais accompagné de commentaires de l’équipe : sachez qu’ils n’ont presque jamais été dépouillés : cela fait 1127 x (1972 à 2010 : 38 ans) = 42.828 rapports dans les archives des directions et du Ministère !

De très nombreux écrits cliniques aussi dans les différentes revues et des rapports des associations scientifiques français ont accumulé peu à peu la « Clinique de secteur », c’est  à dire l’observation et l’évolution des troubles des divers patients au regard d’un outil nouveau et n’existant qu’en France : l’attention continue d’une équipe envers les mêmes patients tout au long de leur trajectoires de soin, pendant un à 30 ans.

L’expérience des équipes de secteur, recevant toutes les pathologies, tous les âges est donc considérable. Une recommandation sur l’avenir autour du thème de la violence ne saurait s’en passer. Si l’HAS limite sa réflexion à la donnée surannée de dangerosité, au lieu de la vulnérabilité, et cale son analyse, non sur l’expérience de 40 ans sur tout le pays, mais sur des données bibliographiques internationales (excluant la France en plus !), son avis ne peut qu’aboutir à l’abandon immédiat ou progressif de la politique de secteur. Ses recommandations se voulant ‘objectives’ ne tiendront pas compte de la réalité française et vont accoucher d’une demande de rigidification des processus de soin ; celles-ci auront une signification agressive à l’égard à la fois des patients, des familles et des soignants. Les malades se sentiront enfermés dans une lutte quotidienne pour se défendre contre un monde hostile et ‘inhumain’.

Notre expérience de 30 ans sur le terrain d’une équipe prouve de façon fondamentale que les violences apparaissent dans le champ psychique, pour ces pathologies psychotiques, comme pour les autres d’ailleurs, à chaque fois que la contradiction est trop insupportable entre ce que vit une personne et ce que répond son environnement.

Nous avons appris que la dangerosité (la violence et la vulnérabilité) de la personne est maximale lorsque ses liens avec les autres sont attaqués ou s’effacent.
C’est précisément la force du travail de l’équipe de secteur, une équipe présente dans la Cité, centrée sur la vie de la Cité de veiller à participer à la construction de ces liens.
A chaque fois : - la perception de la vulnérabilité de la personne, le choix de la proximité comme cadre du soin, -une qualité d’écoute et de soin, -la mise en place d’un temps de travail préalable calme avant tout soin, que nous avons appelés ‘pratiques d’accueil’, -une attention simultanée portée aux problématiques physiques, sociales (logement en premier), et relationnelles de la personne, à chaque fois tous ces éléments travaillés vont transformer la violence agressive de la personne en attention à elle-même, puis en attention aux autres, enfin en appétit et désir de soin à chaque fois que nécessaire, dans la mesure où la société ‘de proximité’ se montre elle-même accueillante et ‘humaine’.

Le danger que court la psychiatrie de secteur pendant ce week-end de décembre est maximal.
Certes nous savons que ces travaux se déroulent sous l’impulsion de personnes très averties Jean Louis Senon et Gérard Rossinelli. JL Senon a fait preuve d’une vigilance, d’une rigueur et d’une détermination exceptionnelles, car c’est beaucoup grâce à lui que la campagne de stigmatisation déclenchée en France en décembre 2008 a décru, tellement il a su mettre en évidence que la violence des patients n’était pas plus forte que celle de l’ensemble de la population, et surtout qu’ils étaient bien plus souvent victimes de délits, preuve de leur vulnérabilité, et G Rossinelli praticien infanto-juvénile profondément attaché depuis 30 ans à la mise en évidence des potentialités très fortes de la politique de secteur pour tous les patients.

Mais la commande de l’Etat est tellement forte que le combat va être rude. Il est essentiel que famille, usagers et soignants s’associent aux travaux de cette Commission et construisent une réalité humaine pour rencontrer les éventuelles violences et les transformer en liens humains.


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