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dimanche 31 octobre 2010






Société
28/10/2010


Paris malade de sa carence en infirmières

L’hôpital Tenon, comme une grande partie des établissements parisiens, est à court de personnel. Une pénurie permanente.

Par ERIC FAVEREAU

C’était vendredi. Un nouveau rassemblement du personnel devant l’hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de Paris. Le dixième du même genre. Une petite foule. «Depuis quatre semaines, l’hôpital est en grève pour une remise à niveau des effectifs et une réelle amélioration des conditions de travail», expliquait avec force le responsable CGT. Et il ajoutait : «Hier, les patients de dialyse ont dû être transférés par manque de personnel, cinq infirmières se trouvant en arrêt maladie.» Le scénario classique ? Celui d’un banal conflit comme il y en a régulièrement dans les milliers d’établissements de santé en France, toujours à vif ? Pas si sûr… Car ce qui se passe à l’hôpital Tenon est emblématique d’une radicalisation de certains mouvements sociaux à l’hôpital, en particulier chez les infirmières.

Tenon, comme les autres établissements parisiens, est en pleine restructuration. Il doit se regrouper avec les hôpitaux Saint-Antoine, Rothschild et l’hôpital pédiatrique Trousseau. Tout cela est logique, mais voilà, à Paris, il manque des infirmières. Et tout devient plus aigu. Les causes de cette pénurie sont nombreuses, mais la première est la difficulté de trouver un logement dans la capitale avec un salaire d’infirmière.

Plus de 10% de postes sont ainsi vacants à l’hôpital Tenon : 58 postes sur 600. Et cela tend à augmenter. Très logiquement, pour essayer d’y faire face, la direction de l’établissement fait régulièrement fonctionner le robinet des intérimaires. En même temps, il existe une équipe d’infirmières suppléantes qui tourne dans les services au gré des besoins. On se débrouille, mais les tensions restent palpables. «C’est bien sûr aux urgences que les choses se compliquent. Et en particulier dans les équipes de nuit, explique le professeur Etienne Hinglais, chef du service des urgences, mais aussi membre de la commission médicale d’établissement (CME) de toute l’Assistance publique de Paris. On travaille dans de mauvaises conditions, les gens sont fatigués. En plus, les locaux ne sont pas adaptés. Et le nouveau bâtiment n’est toujours pas prêt.»

Prime. A Tenon, ce sont de grosses urgences: 45 000 passages par an. Déjà l’année dernière, une grève des infirmières avait éclaté. «Celles qui travaillent disent, non sans justesse, que vu le contexte et la surcharge de travail, il serait normal qu’elles soient aidées financièrement.» A l’époque, une petite prime avait été accordée. Mais rien n’a vraiment changé. Pis, la direction a même de plus en plus de mal à embaucher des intérimaires. «Au point que le week-end, 25% des infirmières sont intérimaires», s’alarme le professeur Hinglais.

Début octobre, les syndicats de l’hôpital Tenon annoncent le dépôt d’un préavis de grève. Le matin du samedi 2 octobre, veille de la Nuit blanche et jour de manifestation dans les rues de Paris, cinq infirmières sont attendues aux urgences. Quelques minutes avant la prise de leur service, trois infirmières appellent pour dire qu’elles sont en arrêt maladie. «C’est inédit», note le Pr Hinglais. Il est rarissime que des infirmières aillent aussi loin, au risque de mettre en danger la santé des malades. «Pour nous, cela a été un choc, suivi d’un branle-bas de combat, poursuit le chef de service. Les aides soignantes étaient toutes présentes, on a dispatché les malades du service porte [l’arrivée des urgences, ndlr] vers les autres services, puis les médecins se sont mis en première ligne aux urgences et on a renvoyé les patients vers les autres hôpitaux.» Ce qui, au passage, a désorganisé les hôpitaux voisins. Mais il n’y a pas qu’aux urgences de Tenon que le conflit s’est durci. En radiothérapie, en oncologie et en dialyse également. «Il y a un tel manque d’infirmières que tout le monde en souffre, raconte un autre chef de service. Il arrive que le matin même, sans préavis, certaines infirmières soient déplacées vers d’autres services. Avant, il y avait une équipe tournante ; maintenant, elle est inexistante.»

«Dantesque.» «Tout se tient, poursuit le Pr Hinglais. Faute d’infirmières, plus de 5% des lits de Tenon sont fermés. Donc cela devient absolument dantesque pour arriver à hospitaliser en urgence une personne âgée. On est à deux doigts de l’accident.» Dans ce contexte, une grande majorité de médecins de Tenon a signé un appel commun. Où ils notent : «Le manque d’effectif est compensé depuis de longs mois par les efforts du personnel en place. Il est fréquemment arrivé que le personnel infirmier reste en poste plusieurs heures supplémentaires, faute de relève. Devant cette situation, la direction du personnel a recours à des infirmiers intérimaires. Ce recours, couramment utilisé pendant les périodes de congés depuis quelques années, se généralise durant toute l’année, particulièrement aujourd’hui. Le personnel intérimaire ne peut pas assurer les mêmes prestations quand ils ne connaissent ni les locaux ni les spécificités des services auxquels ils sont affectés. De ce fait, il est arrivé que des infirmiers intérimaires, recrutés en réanimation ou en soins intensifs, refusent d’assurer leur mission, considérant qu’ils n’avaient pas la formation suffisante pour l’assurer sans danger pour les patients, laissant le personnel soignant du service en sous-nombre.» Et ils concluent : «Le personnel soignant se sent pris dans une spirale infernale : maintien du nombre de patients entrants, diminution du nombre de lits disponibles, engorgement des services, épuisement prévisible des équipes ! A ce jour, l’hôpital Tenon connaît une crise inédite qui menace de compromettre la qualité et la continuité des soins.»

En attendant, la grève se poursuit et les discussions se succèdent entre les syndicats et la direction. Dernier malentendu en date : mardi, ils devaient être reçus par la nouvelle directrice de l’Assistance publique, mais ils ont dû se contenter de la DRH.

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