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dimanche 31 octobre 2010




Les tailleurs de pierre de Blombos
29.10.10

Vous manifestez parfois un mépris condescendant pour les hommes des cavernes ? Essayez donc de tailler un silex. L'affaire est beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît. Car il ne s'agit pas de cogner comme un sourd sur un caillou : les préhistoriens identifient un vaste éventail de techniques de débitage et de taille de la pierre. L'une des plus précises et des plus raffinées était présumée avoir été inventée tardivement en Europe, voilà quelque 20 000 ans. Las ! Cette prérogative n'est plus européenne : des archéologues et préhistoriens démontrent, dans l'édition du vendredi 29 octobre de la revue Science, que cette technique très élaborée, dite de "retouche par pression", est en réalité apparue il y quelque 75 000 ans, en Afrique australe.

Cette technique, jusqu'ici caractéristique de la culture dite solutréenne, consiste à exercer de fortes pressions sur la pierre à tailler, à l'aide d'instruments sans doute en os ou en bois de cervidés. Ces pressions successives sur les bords de la pierre permettent d'enlever de petits éclats et d'obtenir ainsi des objets d'une grande finesse, pointes de flèche ou de lance très aiguës et tranchantes. Si régulières et si belles que "ce sont presque des oeuvres d'art", dit la préhistorienne Paola Villa (université du Colorado à Boulder, laboratoire Pacéa à Bordeaux). Or, des pointes ressemblantes avaient été découvertes voilà plusieurs années dans la grotte de Blombos (Afrique du Sud), fouillée depuis le début des années 1990.

Mais de vagues ressemblances ne démontrent rien. D'autant que "les pierres utilisées à Blombos ne sont pas faites en silex, comme c'est le cas en Europe, mais en silcrète", dit Mme Villa, coauteur de ces travaux. Les caractéristiques de ces deux roches étant différentes, des techniques identiques ne produisent pas nécessairement les mêmes résultats. Aussi, pour en avoir le coeur net, les chercheurs ont taillé du silcrète en reproduisant la technique de retouche par pression.

"Retouche par pression"

En outre, avant de les travailler, les chercheurs ont chauffé les pierres pour les attendrir, comme le faisaient les "Européens" il y a 20 000 ans, c'est-à-dire "en les plaçant dans le sable, sous les foyers", explique Vincent Mourre (Institut national de recherches archéologiques préventives), principal auteur de l'étude. Ayant appliqué au silcrète l'ensemble des techniques réputées être nées en Europe au paléolithique supérieur, les chercheurs obtiennent un résultat remarquablement comparable aux pierres taillées il y a 75 000 ans par les hommes de Blombos. "En particulier, nous avons étudié la taille et l'abondance des éclats retrouvés dans la grotte et nous les avons comparés à ceux obtenus en taillant les pierres nous-mêmes selon cette technique", raconte Vincent Mourre. L'étude au microscope des outils modernes et anciens a achevé de convaincre les chercheurs : la "retouche par pression" n'a pas été inventée il y a 20 000 ans en Europe, mais il y a 75 000 ans en Afrique.

Y a-t-il une filiation entre les deux techniques ? "C'est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre pour le moment, répond Mme Villa. Nous avons un trou d'environ 50 000 ans au cours desquels on ne retrouve pas d'objets taillés avec cette technique. Des outils découverts en Russie, sur un site daté de 35 000 ans, ont peut être été obtenus grâce à cette technique, mais il resterait encore un vide de 40 000 ans..." Peut-être la mémoire de cette technologie africaine a-t-elle simplement disparu, avant d'être "réinventée", beaucoup plus tard, en Europe.

Quelle que soit la réponse, le site de Blombos dépossède une fois de plus l'Europe de l'une de ses fières prérogatives. On pensait que l'art était apparu en Europe voilà quelque 30 000 ans, avec les peintures rupestres comme celles de la grotte Chauvet : des parures de coquillages anciennes de plus de 70 000 ans, sans doute portées en collier, ont été récemment découvertes à Blombos. D'où les archéologues ont aussi exhumé des petits blocs d'ocre inscrits de motifs géométriques, signe d'une vie spirituelle de ses auteurs car, comme le dit M. Mourre, "ces petits objets n'étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe".
Stéphane Foucart

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