Par Nicolas Truong Publié le 21 décembre 2020
ENTRETIEN Penseurs de l’intime (2/10). Historien des sensibilités, Hervé Mazurel analyse dans un entretien au « Monde » comment la crise sanitaire affecte à la fois nos façons de sentir et de ressentir, nos perceptions intimes de l’espace et du temps, mais aussi nos gestes et attitudes corporelles.
Entretien. Historien et musicien, maître de conférences à l’université Bourgogne Franche-Comté, Hervé Mazurel a récemment publié Kaspar l’obscur ou l’enfant de la nuit (La Découverte, 343 p.). Cofondateur de la revue Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales aux éditions Anamosa, il analyse la façon dont la pandémie a bouleversé notre vie sociale et affective.
Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle altéré nos sensibilités ?
Les premières semaines, je fus surtout frappé par le bouleversement de nos interactions sociales les plus ordinaires, ces microritualités qui font la théâtralité du monde social. Soudain, l’impératif de distanciation a fait peser un puissant interdit sur la proximité des corps, sur les embrassades, les poignées de main, les accolades, tout ce qui donne de la chaleur à notre vie. A l’époque, je ne pouvais m’empêcher d’observer l’embarras, la gêne, le malaise qui accompagnaient des situations pourtant si communes. Car chacun peinait à trouver la juste distance aux autres, craignant soit d’être approché de trop près (d’où des tactiques d’esquive, des conduites d’évitement), soit d’oublier les gestes barrières (cette nouvelle « fausse note », dirait Erving Goffman, dans les règles de civilité).