Aurélie Haroche|
16 Février 2024
Paris – Au début du mois de février, Emilie, institutrice dont l’enseignement est une vocation comme en témoigne sa chaîne YouTube « Kiffer l’école », a publié sur Instagram une vidéo où elle ne peut que confesser : « Je ne kiffe pas l’école ».
Dans ce court témoignage, elle évoque la difficulté que représente l’inclusion dans sa classe d’enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux. Elle décrit des « tensions extrêmes » et signale son impuissance à faire face à la violence de certains de ses élèves. Si les épreuves qu’elle doit affronter ont même conduit à la cessation temporaire de son activité, Emilie reste pourtant profondément engagée. Elle suit ainsi une formation dédiée à la prise en charge des enfants présentant un trouble du spectre autistique, mais perçoit que pour pouvoir accueillir efficacement ces élèves, elle devrait mettre en place un accompagnement extrêmement personnalisé, au détriment sans doute des autres écoliers.
Aussi, manifestant clairement son épuisement et après avoir remarqué que les premières victimes de cette situation sont les enfants affectés de ces troubles, elle appelle en premier lieu au déploiement de moyens supplémentaires pour faire face à ce défi majeur. Elle sait qu’on lui rétorquera que des aides existent, mais bien souvent ce ne sont que des dispositifs fantômes : le groupe de paroles qu’on lui a suggéré a été annulé faute de participants la veille de la réunion et il en a été de même pour la consultation avec le psychologue de l’Education nationale et pour le rendez-vous avec son inspecteur. Comme une forme d’abandon généralisé, sous couvert d’un encadrement institutionnalisé.
Le difficile exercice de la nuance
Comme souvent ce type de témoignage, le récit d’Emilie a entraîné une « libération de la parole » pour reprendre l’expression consacrée. Derrière le hashtag Alerte inclusion, différentes histoires sont relayées par de nombreux professeurs, instituteurs, parents. Elles portent souvent deux messages entremêlés et dont l’imbrication incite certains à feindre de ne pas en percevoir les nuances. D’une part, la constatation de l’absence de moyens adaptés est unanime : les histoires réussies « d’inclusion » sont toujours liées à des dotations suffisantes en assistante d’éducation, associées parfois à d’autres dispositifs et à la formation des équipes. D’autre part, en filigrane, existe parfois l’interrogation sur la pertinence de certaines inclusions, notamment pour les enfants eux-mêmes.
Des « résistances validistes »
L’expression de la nuance étant un des arts oratoires les plus à risque, la controverse était inévitable. Si beaucoup de professeurs louent la prise de parole d’Emilie, d’autres, ainsi que certains parents se montrent offusqués. Brittia Guiriec commente ainsi sur Twitter : « Depuis quelques jours, la vidéo d’une enseignante démunie sur les moyens alloués pour l’inclusion des élèves handicapés fait le buzz avec un hashtag de ralliement très mal choisi (#Alerteinclusion) et un parallèle (#handicap=violence très néfaste). C’est problématique car résumer les élèves handicapés sous le seul prisme de taper, tirer les cheveux, renverser les tables, ne retenir que ça et ne dire que ça, c’est faire un amalgame handicap=violence qui est préjudiciable pour « tous » les enfants handicapés », dénonce cette mère d’un enfant souffrant d’un handicap.
De son côté, une enseignante citant le cas de l’Italie où l’école inclusive a été érigée en principe dès le début des années 1970 condamne toute remise en question même partielle de l’universalisme de ce principe : « L’enfant handicapé comme tout enfant a le droit de suivre une scolarité en milieu ordinaire. Celles et ceux qui ne veulent pas le comprendre doivent être rappelés à la loi ou exclus de l'école. La loi est là, pas appliquée, pas de moyens, certes, mais surtout on a des résistances validistes à l'école inclusive. Tout le contraire de ce qui a permis sa création en Italie ».
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