Par Annick Cojean Publié le 14 mai 2023
« Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Souad Massi, chanteuse franco-algérienne, revient sur son enfance à l’épreuve de la domination masculine.
Ses concerts rassemblent un public issu des deux rives de la Méditerranée. La convivialité qui s’en dégage tient à l’excellence de ses musiciens et à sa voix chaude, envoûtante, qui chante la nostalgie, l’exil, l’ardeur. A 50 ans, après une tragédie familiale qui aurait pu l’abattre, la chanteuse Souad Massi, égérie d’une double culture apaisée, continue d’exprimer sur scène la défense des droits et libertés des femmes.
Je ne serais pas arrivée là si…
… Si je n’étais pas née à Bab-El-Oued, le quartier le plus populaire et métissé d’Alger, entourée de femmes aussi fascinantes qu’invisibles.
Pourquoi « invisibles » ?
Parce que c’était une société d’hommes ! Où les règles étaient faites par les hommes, pour les hommes, et à leur seul bénéfice. Les femmes, petits êtres inférieurs, n’étaient là que pour les servir. Leur sort était joué à la naissance, leur sexe les condamnait à un destin de recluses. Pas de sorties, pas d’éducation, pas de liberté, pas de vie publique. Elles étaient des oiseaux en cage.
Vous en aviez conscience, petite fille ?
Ah oui ! Et la perspective de devenir moi-même, un jour, l’un de ces oiseaux entravés me terrifiait. Je passais tout mon temps, enfant, avec ces femmes de ma famille et nos voisines, que je trouvais magnifiques et talentueuses. J’écoutais les conversations, j’observais les regards. Ce qui me frappait, c’était la tristesse et la mélancolie de ces femmes. Cela me semblait injuste. Et cette différence avec la liberté des hommes m’était incompréhensible.