Michael Sandel-Peter Singer. Comment (bien) faire le bien ?
Ce sont deux des plus grandes voix de l’éthique contemporaine. Michael Sandel, dont les leçons sur la justice ont fait le tour du monde, fonde la morale sur un socle de valeurs qui échappent à la logique du marché. Peter Singer, lui, s’est imposé comme le grand défenseur de l’utilitarisme, qui vise à maximiser, grâce au calcul, le bien-être collectif. S’appuyant sur de passionnantes expériences de pensée, ils nous initient à deux conceptions diamétralement opposées de la vie bonne.
Peter Singer : Je suis un utilitariste. Pour moi, une action est bonne si ses conséquences augmentent le plaisir du plus grand nombre ou réduisent la souffrance de ceux qui en sont affectés. Et je suis convaincu que l’utilité est la fin unique et ultime de la vie.
Michael Sandel : Je ne pense pas qu’il soit possible de réduire tous les biens dont nous nous soucions à une valeur unique qui serait l’utilité. Il y a une pluralité de biens moraux. Dans certaines situations, il s’agit de savoir quelle est l’utilité du bien que l’on poursuit ; dans d’autres, ce qui compte est d’assurer la dignité, l’honneur ou le respect ; dans d’autres encore, de s’intéresser au caractère de la personne, à son courage ou à sa lâcheté. La variété de ces critères moraux est précieuse. Et ce serait une erreur de vouloir tout réduire au calcul de l’utilité.
P. S. : Si je suis prêt à ramener tous les biens moraux à l’échelle de l’utilité, cela ne veut pas dire qu’au quotidien, il faille toujours viser l’utile. Il est possible que si l’on recommande aux gens de n’avoir que l’utile en tête, ils soient enclins à faire des erreurs. Calculer les meilleures conséquences, en principe, c’est toujours possible, mais si l’on essaie de faire ce calcul au milieu de la vie de tous les jours, et pas seulement en tant que philosophe, on est confronté à des situations d’urgence, où l’on est sous pression, émotionnellement lié à ceux avec qui l’on agit. Dans ces situations, suivre les règles morales communes sans opérer de calcul utilitariste peut être la meilleure chose à faire. Mais il n’empêche : c’est bien le but ultime de la vie. Et la seule question est de savoir s’il faut le viser directement ou si l’on peut parfois l’atteindre indirectement.