par Sonya Faure publié le 26 mars 2021
Selon l’historien Roger Ekirch, les nuits de nos ancêtres étaient divisées en deux phases, avant que la révolution industrielle et la lumière artificielle n’imposent un nouveau modèle de sommeil : la nuit d’une traite que nous connaissons aujourd’hui. Ses travaux pionniers sont traduits ces jours-ci en français. Insomniaques, réjouissez-vous : se réveiller au beau milieu de la nuit est plus normal qu’il n’y paraît.
Les personnes privées pendant plusieurs semaines de la lumière artificielle finissaient naturellement par adopter un sommeil fragmenté, se réveillant après minuit pour se réendormir un peu plus tard. (Hugo Clarence Janody/Hans Lucas)
Certains livres donnent le vertige. Surtout quand ils viennent remettre en cause ce qui paraissait évident, au cœur même de notre routine. La Grande Transformation du sommeil, de l’historien américain Roger Ekirch est de ceux-là : en analysant comment nos nuits ont évolué au cours des siècles, il vient ébranler ce qui semblait si naturel qu’on n’y réfléchissait même pas (1). Quoi de plus normal que de dormir d’une traite, la nuit ? En accumulant les archives - tableaux et gravures, romans, procès-verbaux policiers et judiciaires, Ekirch a eu une intuition : longtemps, le sommeil des Européens a été scindé en deux temps. «Premier sommeil» et «second sommeil», d’une durée à peu près égale, étaient séparés par une période de veille. Aux alentours de minuit, pendant une heure ou un peu plus, «les membres de chaque foyer quittaient le lit pour uriner, fumer un peu de tabac ou encore rendre visite à leurs voisins, écrit l’historien dans son article «A la recherche du sommeil perdu», publié en anglais pour la première fois en 2001 et reproduit dans le livre sorti ces jours-ci en France. De nombreuses personnes restaient au lit et faisaient l’amour, priaient ou, plus important encore, méditaient au contenu des rêves de leur “premier sommeil”». Le poète George Wither (1588-1667) écrivait ainsi : «A minuit quand tu t’éveilles du sommeil…», et quelques années plus tard, John Locke (1632-1704) assurait : «Tous les hommes dorment par intervalles.» «L’immense majorité des témoignages qui nous sont parvenus, assure Ekirch, indique que se réveiller spontanément était habituel, qu’il ne s’agissait pas de la conséquence d’un sommeil perturbé ou agité. Les livres de médecine, du XVe au XVIIIe siècle, recommandaient bien souvent, afin de faciliter la digestion, de se coucher sur le côté droit au cours du “premier sommeil” et “après le premier sommeil” de se tourner sur le côté gauche.»