CHRONIQUE PAR ARNO KIKOO 13 JUILLET 2020
"Sous la Loupe du Psy" : une rubrique "loop and psy" qui propose de poser un focus sur un comicbook sous l'angle de la psychanalyse. Pour relire un comics sous un regard différent, éclairer les mécanismes psychiques du personnage et les ressorts inconscients du récit.
Disclaimer : cette chronique a été rédigée en intégralité par Alex Hivence
Psychanalyste dans la vraie vie, il analyse sous son identité secrète la psyché et la personnalité des héros de la culture comics, manga, et geek.
Harleen, opus sorti en mai 2020 dans le catalogue Black Label de chez Urban Comics, revient sur les origines du Docteur Harleen Quinzel, avant sa conversion en Harley Quinn. Nous assistons aux premiers pas de la jeune psychiatre et de sa première rencontre avec le Joker. Et de sa profession de foi en tant que psy débutante. L'enthousiaste Dr Harleen Quinzel pose ainsi comme hypothèse de recherche sur le comportement criminel que les sociopathes pourraient être causés par une détérioration des zones de l'empathie dans le cerveau. En parallèle de ce travail de recherche, nous suivons Harleen, jeune diplômée en psychiatrie, célibataire, plutôt réservée, dans son périple qui l'amène à croiser des situations qui auront, à terme, des effets indélébiles sur son psychisme.
NATURAL BORN KILLER HYPOTHESIS
L'hypothèse d'une composante biologique expliquant le comportement criminel n'est pas neuf. C'est une hypothèse ancienne chez les psychiatres américains, hypothèse qui les a amenés à forger cette idée des "natural born killers", des tueurs nés. Oliver Stone en fit le titre d'un de ses films où un couple passionnel de tueurs traverse les Etats-Unis en laissant un sillage sanglant sur leur passage. Les travaux de recherche chez nos amis anglo-saxons ont ainsi suivi l'évolution des progrès scientifiques. A l'époque de la cartographie du génome humain des fonds ont été investis pour trouver le gène criminel. A l'époque de l'imagerie cérébrale et de l'avènement des neurosciences, des recherches ont été promus pour rechercher les zones cérébrales responsables des comportements pathologiques, dont les conduites criminelles.
Le principe selon lequel le cerveau contient les réponses permettant de percer le secret des comportements n'est pas neuf en soi puisque la psychiatrie des années 50 pratiquait déjà allègrement les traitements par électrochocs sur le cerveau et des lobotomies. A l'ère des neurosciences, un regain pour traiter la question des comportements par l'étude du cerveau survient. L'imagerie cérébrale offrant de nouveaux moyens d'investigation sur le fonctionnement du cerveau, porteurs d'espoir pour les uns, de chimères pour les autres. A l'heure actuelle, aucun gène ni aucune zone cérébrale déterminée n'a permis de conclure à une origine cérébrale des troubles. Sont observés des comportements pathologiques voire criminels avec des composantes complexes biopsychosociales.
LE CRIMINEL : EN PANNE D'EMPATHIE?
L'hypothèse d'un défaut d'empathie chez les sociopathes, telle qu'elle est formulée dans le récit comme thème de recherche du Dr Harleen Quinzel est une hypothèse qui a eu cours dans la réalité. Elle repose sur le principe simple selon lequel le comportement criminel est permis chez un individu du fait de son incapacité à se mettre à la place de l'autre. Et que c'est cette aptitude à ressentir ce que l'autre ressent qui viendrait, chez l'individu équilibré, réguler la conduite potentiellement criminelle. En clair, si vous avez envie de voler le sac d'une petite grand-mère, ce qui vous retient n'est pas seulement un interdit de la Loi, lequel est souvent mis de côté, ni la crainte d'être arrêté, crainte souvent déniée par l'individu, mais le fait de se mettre un instant à la place de cette grand-mère, de ressentir sa détresse et par conséquent cette empathie va refreiner votre intention première.
Aussi séduisante soit cette hypothèse, elle rencontre un souci majeur. Des individus rencontrant un manque d'empathie pour des raisons psychologiques liées à leur personnalité ne commettent pas tous des actes criminels. Des personnes atteintes de certaines psychoses, de certaines formes d'autisme, sont décrites comme ne pouvant faire preuve d'empathie vis-à-vis de l'autre. Ils ont un rapport à l'autre qui fonctionne, s'appuie sur d'autres éléments. La piste du manque d'empathie comme explication univoque du comportement criminel prend ainsi un coup dans l'aile.
Une autre piste intéressante a pu être avancée sur l'empathie au sujet des psychopathes notamment. Ceux-ci ne souffriraient pas d'un manque d'empathie, mais au contraire d'un excès d'empathie. Si l'on considère l'empathie comme la capacité à se mettre à la place de l'autre pour ressentir ce qu'il ressent, être réceptif à ses humeurs, son langage verbal, alors un excès d'empathie permettrait à un psychopathe d'être justement en mesure de percevoir ce qui échappe aux simples petits névrosés que nous sommes pour être en mesure de se fondre dans le comportement de l'autre pour l'approcher suffisamment, utiliser cette empathie hypertrophiée pour parvenir à ses fins.
Lorsque l'on observe comment le Joker interagit avec le Dr Harleen Quinzel aussi bien dans le face-à-face dans la rue que lors des séances à l'asile d'Arkham, cette piste semble bien plus intéressante. Nous sommes ainsi plus proche d'un Hannibal Lecter du "Silence des agneaux" face à l'agent Starling que d'un "Natural Born Killer". La séduction et le transfert en plus que le Dr Harleen Quinzel ne va pas voir venir. L'apparition de Poison Ivy confirmera cette piste, illustrant de quelle façon son empathie démesurée à l'égard de l'environnement, au sens strict cette fois-ci, mais cela peut s'entendre de façon métaphorique, amène chez elle un comportement criminel que la société réprouve.