Dans l’essai « Sorcières », Mona Chollet rappelle que les chasses aux sorcières ont valu la mort à des milliers de femmes entre le XVe et le XVIIe siècle. Elle s'interroge sur les traces laissées par cette histoire dans notre représentation de ce que devrait être une femme « acceptable ».
13/09/2018
Un processus pour diaboliser les femmes a précédé les chasses aux sorcières. Comment les sorcières sont-elles devenues des boucs émissaires ?
Les chasses aux sorcières sont nées dans un contexte de discours misogynes haineux. Évidemment, la misogynie existait avant les chasses aux sorcières, mais c’est une période où elle se cristallise. Les femmes étaient en train d’acquérir une certaine place dans la société. Bien qu’elles ne puissent y être les égales des hommes, de nombreux métiers leur étaient ouverts, elles pouvaient être actives et gagner leur vie. Ce peu d’indépendance a été suffisant pour susciter pas mal de craintes.
Les femmes « bizarres », désagréables, les vieilles femmes, ont été rendues responsables de tout ce qui allait mal, des dérèglements météorologiques aux épidémies. C’est un phénomène de bouc émissaire pur. Le texte principal qui a servi de manuel aux chasseurs de sorcières est le Malleus Maleficarum, l’œuvre de deux inquisiteurs, l’Alsacien Henri Institoris et le Bâlois Jacob Sprenger. C’est un livre ouvertement misogyne, qui s’en prend aux « sorcières » et aux femmes en général. Il a été diffusé à plus de trente mille exemplaires en Europe. Il y a d’ailleurs un parallèle intéressant entre l’antisémitisme et les chasses aux sorcières : à l’époque, les prétendues sorcières et les juifs ont été accusés de vouloir détruire la chrétienté et ont en ce sens été perçus comme des menaces.
Derrière ce terme de sorcières, vous expliquez qu’il y a des guérisseuses, des femmes seules, des femmes en couple visées par des vengeances personnelles… Quelles femmes pouvaient être accusées de sorcellerie ?
Il y a eu de nombreux cas de figures différents. Les femmes visées provenaient en général des classes populaires. Elles n’avaient pas de moyen de se défendre, ce qui les a établies comme des boucs émissaires parfaits. A posteriori, on remarque que les femmes qui font peur sont souvent des femmes qui existent indépendamment des hommes. C’est un peu ce que l’on reproche aux trois catégories de femmes que j’ai choisi d’aborder dans le livre : à la fois les célibataires, les femmes âgées, souvent veuves, et les femmes sans enfants.