Avec humour, Rachid Benzine et Ismaël Saidi conversent et décryptent le texte sacré des musulmans.
LE MONDE | | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
Le livre
C’est un petit livre qui, sans doute, va dérouter. Par le ton qu’il adopte, empreint d’un humour inhabituel dans ce genre d’entreprise. Par le couple inédit que forment ses auteurs, l’un, « Belge, musulman de culture judéo-chrétienne », qui rêve de faire naître un « islam d’Europe » et s’alarme que dans sa ville, Bruxelles, de nombreuses mosquées, protégées par une liberté de culte qui les met à l’abri des regards, diffusent un message vide, intellectuellement pauvre, décalé par rapport aux exigences d’une société moderne. Ismaël Saïdi a écrit, en 2014, Djihad, une fable tragicomique sur l’engagement de jeunes paumés dans une cause dont, en définitive, ils ignorent tous les prétendus fondements.
L’autre est un érudit, chercheur, enseignant parisien qui, d’ouvrage en ouvrage, s’emploie à remédier à l’ignorance généralisée qui entoure l’islam, à faire connaître ce qu’il pense être sa vraie nature, à déconstruire les mythes, souvent destructeurs, que véhiculent certains courants fondamentalistes. Rachid Benzine a, par ailleurs, lui aussi écrit une pièce, Lettres à Nour (2016), récit poignant de la relation tragique entre un père, qui enseigne la religion musulmane, et sa fille, partie rejoindre un combattant.
Passant par le théâtre, le chemin du gamin de Saint-Josse et celui de l’intellectuel de Trappes étaient donc appelés à se croiser. Et de quoi parlèrent-ils ? De l’islam, évidemment… A propos duquel le premier avait énormément de questions, tandis que le second possédait des réponses, puisées dans sa connaissance de l’histoire et de l’anthropologie.
« Les grands textes sacrés sont des voyageurs. Ils traversent les siècles, voire les millénaires. Ils deviennent alors ce que les hommes de chaque époque en font », explique-t-il lors de sa première rencontre avec celui qui se demande si, en soumettant sa femme – comme, lui a-t-on dit, le Coran l’enseigne –, il pourra, enfin, installer dans sa chambre l’écran plasma qui lui permettrait de regarder plus confortablement Netflix… Raté : le savant qu’il consulte lui parle de « mur anthropologique », de la nécessité de replacer d’abord le texte dans son époque (le VIIe siècle).
Vision critique
« Pour comprendre le Coran, il faut comprendre trois choses essentielles : le temps, le lieu, le groupe humain du Coran », explique Richard Benzine. Et, dès lors, « quand on étudie l’histoire on doit repérer ce qui fait la spécificité de chaque société et quelles sont les différences. Il ne s’agit pas de juger, de dire que c’est bien ou mal, mais d’étudier ce qui est spécifique, sans ce qu’on appelle un jugement de valeur ».