Les progrès spectaculaires des neurosciences – ou sciences du cerveau – et leur application aux sciences cognitives, celles qui traitent de l’esprit, sont tels, depuis quelques décennies, que l’image multicolore censée illustrer les localisations cérébrales (langage, émotion, perception, etc.) a remplacé, à titre d’emblème de la science, les schémas de l’atome. L’idée que l’esprit humain est un objet de même type que ceux dont s’occupent les sciences de la nature se renforce, balayant les résistances de la phénoménologie ou de la psychologie traditionnelle (psychanalyse incluse) pour qui l’esprit procède d’une essence différente de celle des choses.
Ce « naturalisme », Daniel Andler, philosophe des sciences et mathématicien sans doute le mieux informé de l’état des lieux international des études cognitives, en est convaincu. Pour lui, il n’y a bel et bien qu’un seul monde. C’est ce qui donne du prix à sa critique du triomphalisme régnant dans ce champ prometteur qui attire à lui de plus en plus de chercheurs et de budgets.
Car, pour Daniel Andler, la science n’est pas une abstraction mais l’ensemble des programmes scientifiques en cours et leurs résultats concrets. En passant à la loupe non seulement les argumentaires mais aussi l’écart entre les ambitions et les bilans, une impression générale se dégage : les peurs que suscite le naturalisme sont loin de correspondre à la situation effective de ce savoir aux hypothèses encore tâtonnantes. Tel est l’un des apports de ce livre exigeant mais toujours clair pour qui lui accorde l’attention requise. En instillant chez les thuriféraires des sciences cognitives une légère pointe de dégrisement tout en rejetant les adversaires résolus du naturalisme vers le créationnisme, la magie ou la Providence, il constitue une véritable entreprise de salubrité publique.