Longtemps, le chorégraphe et metteur en scène belge Alain Platel a refusé d’évoquer son passé d’orthopédagogue. Impression de rallier des mondes diamétralement opposés ? De brandir des références qui parasitent la vision de ses pièces ? « Je ne voulais surtout pas voir les relations qui existaient entre mes études de jeunesse et mes spectacles, dit-il. Je les niais. Ce n’est que peu à peu que j’ai réalisé combien c’était imprégné dans mon corps et mon travail. Mais je n’en parle vraiment que depuis dix ans. » Voilà pourtant trois décennies que Platel a choisi le spectacle. Entre sa passion pour l’orthopédagogie et la scène, qui survient presque par hasard au gré de performances avec des amis, il décide, poussé par « l’intérêt des théâtres », de créer sa compagnie les Ballets C de la B en 1984.
Que voit-on dans les pièces de cet homme paradoxalement doux et déchiré ? Des êtres marginaux, malmenés, des corps cassés, transpercés de pulsions aiguës, des créatures qui se flairent et se frottent pour survivre. Depuis ses premiers succès comme Bonjour Madame, comment allez-vous aujourd’hui, il fait beau, il va sans doute pleuvoir, et cætera (1993) jusqu’à Gardenia (2010) en passant par Tous des Indiens (1999), Alain Platel, attentif aux matraqués de tous bords, qu’il s’agisse de transsexuels ou d’enfants-soldats, raffine un travail pétri de souffrance mentale et physique. Au fil du temps, au plus près d’une réalité sociale de plus en plus fracassée, il resserre l’étau sur une humanité éreintée qui s’échine à rester debout.