LE MONDE CULTURE ET IDEES | | Par Marion Rousset
En même temps que celle de la gestation (GPA) pour autrui, l’année 2015 pourrait bien être celle d’une prolifération du discours psychanalytique dans les médias. Le débat législatif que la Belgique ouvre en ce moment autour de la légalisation de la pratique de GPA vient en tout cas de relancer la polémique à ce sujet. Car cette décision intervient après plusieurs avis de la Cour européenne des droits de l’homme demandant à la France, et tout récemment à l’Italie, de reconnaître des enfants nés de mères porteuses.
Dans sa levée attendue de boucliers contre cette situation nouvelle, La Manif pour tous a trouvé un allié plus ou moins involontaire chez des psychanalystes médiatiques. A la radio, à la télévision, dans les journaux, ils délivrent des avis très tranchés sur la question. Ainsi de Jean-Pierre Winter qui signale « un déni de grossesse cautionné par la société » et « un abandon d’enfant programmé », ou encore de Pierre Lévy-Soussan qui préfère parler de « rupture délibérée de ce que l’enfant a vécu pendant la grossesse ».
Depuis quelques mois, ces experts régulièrement convoqués pour éclairer lecteurs et auditeurs se déchaînent sur la GPA. Mais ce n’est que la partie la plus visible de l’iceberg. « On assiste à la montée en légitimité d’une parole psychanalytique qui manie la thématique de la boîte de Pandore et fournit de l’argumentaire à certaines parties de la société comme cette frange catholique qui s’inspire aujourd’hui plus de Freud que des écrits du Vatican », constate la sociologue Dominique Mehl.
La disparition des mots « père » et « mère » du code civil, le mariage pour tous, l’adoption par les couples homosexuels, la « théorie du genre », jusqu’à la diffusion dans les écoles du film Tomboy, récit d’une fille qui se rêve en garçon… La liste des sujets qui fâchent ces analystes fluctue au gré de l’actualité, avec une obsession pour ce qui risque de remettre en cause la famille traditionnelle et la complémentarité entre homme et femme. A commencer par l’homoparentalité, à propos de laquelle Jean-Pierre Winter s’est un peu emporté, expliquant que la légaliser « c’est tuer le père et la mère ». Coutumier de la rhétorique apocalyptique, il alertait déjà une dizaine d’années auparavant sur le risque que les couples homosexuels produisent des « enfants génétiquement modifiés ». Un registre qui sied aussi à Christian Flavigny : ce psychanalyste et pédopsychiatre n’a pas hésité, pour sa part, à affirmer que l’indifférenciation entre le père et la mère « dissipe (…) l’interdit de l’inceste », taxant du même coup les pouvoirs publics d’« apprentis sorciers ». En dehors des cabinets privés, la psychanalyse qui se présente au grand public est ainsi passée maître dans l’art de définir les contours d’une famille digne de ce nom et de prédire le destin des générations futures.