Qu’est-ce qui a bien pu se passer en 1988 pour que les infirmières se mettent en grève aussi massivement pour la première et jusqu’à présent la seule fois de leur histoire ? À l’époque « cadre infirmier», Michèle Bressand, directrice des soins de l’AP-HP, puis inspectrice générale des Affaires Sociales (IGAS), maintenant à la retraite est intervenue sur les raisons d’un mouvement qui, selon elle, a très peu de chances de se reproduire aujourd’hui...
Invitée le 20 mars dernier par la Chaire Santé de Sciences Po dans le cadre des conférences des Tribunes de la santé, dont le thème cette année est « Les conflits de la santé. », Michèle Bressand a rappelé en préambule le contexte de l'époque.
En décembre 1987, Michèle Barzach, ministre de la santé de l’époque (gouvernement Chirac), publie un arrêté (souvent nommé improprement « décret Barzach ») qui ouvre l’accès aux études d’infirmières aux non bacheliers. Pour de nombreuses infirmières, c’est une « gifle » lancée à la profession qui a obtenu en 1978 la reconnaissance du métier par la validation d’un diplôme et la mention du « rôle propre » (auparavant, était infirmière toute personne à qui un médecin confie un malade …). En mars 1988, l’UNASIIF (qui regroupe la plupart des associations infirmières), la CFDT et la coordination des infirmières anesthésistes appellent à une manifestation qui rencontre peu de succès. Un groupe d’infirmières se réunit alors et décide d’organiser une mobilisation propre à la profession et indépendante des syndicats généralistes : c’est la naissance de la Coordination infirmière Île de France.
En 1987, le « décret Barzach » ouvre l’accès aux études d’infirmières aux non bacheliers. Pour de nombreuses infirmières, c’est une « gifle » !
Commence alors un long travail d’explication et de mise en ordre de bataille dans les services hospitaliers. Grève et manifestations sont décidées pour le 29 septembre 1988. Cette fois, c’est un très grand succès, soutenu par l’ensemble de la population. Même les malades aident les grévistes ou manifestent ! Mais le gouvernement ne reçoit que les syndicats, qui de toute façon, refusent que la Coordination participe aux négociations. Deux jours de grève sont décidés pour le 6 octobre. Nouveau succès, mais toujours pas d’avancée côté gouvernement (moins de 300 Francs d’augmentation, pour les seules infirmières du public). Le 8 octobre est créée la Coordination nationale infirmière, qui décide d’une manifestation le 13. Succès phénoménal ! 100 000 infirmières dans les rues de France (la profession en compte alors 400 000), sachant que les autres sont dans les services pour assurer la continuité des soins.
13 octobre 1988 : "100 000 infirmières dans les rues de France (la profession en compte alors 400 000), sachant que les autres sont dans les services pour assurer la continuité des soins."
Michèle Bressand raconte avoir rencontré à la manif une de ses collègues en congé :
Mais tu n’es pas en vacances ?
30 ans que j’attends ça et tu voudrais que je n’y sois pas ?Finalement, les représentants de la coordination sont reçus à 3 heures du matin par le nouveau Premier Ministre, Michel Rocard, dont un membre de son cabinet aurait dit :
Ça va être dur : elles ont l’habitude de bosser la nuit !Dix jours plus tard, la Coordination appelle à l’arrêt du mouvement : le décret Barzach a été abrogé, les salaires ont été sérieusement revalorisés. Pour Michèle Bressand, deux séries de raisons expliquent le succès du mouvement : une profession unie pour sa reconnaissance et contre le mépris des politiques, administrateurs et syndicalistes.
Regarder le reportage sur la manifestation infirmière du 13 octobre 1988