Le sexe sous antidépresseur : un médicament bouscule le tabou
Par Charlotte Chabas
15/02/2011
Dès le premier rendez-vous, son médecin lui a prescrit un antidépresseur. Depuis, sa vie sexuelle s'est « comme fanée », raconte Nathalie : « Je ne jouis plus. J'essaie de ressentir cette partie de mon corps, mais elle ne répond plus. »
Une nouvelle molécule bientôt commercialisée aux États-Unis redonne toutefois espoir à ceux qui ont le sentiment de payer au prix fort le traitement de la dépression : plus envie de sexe, plus de sensation, des problèmes nouveaux avec leurs partenaires, et pas d'avertissement, le plus souvent, de la part des prescripteurs.
« Je l'ai découvert tout seul, aucun des médecins que j'ai consultés ne m'avait prévenu », dit Christian, 33 ans, qui doit choisir entre une vie sociale supportable ou une vie de couple. Ce nouvel antidépresseur, « c'est peut-être la fin de [son] calvaire ».
En janvier, la FDA (Food and drug administration, équivalent américain de l'Afssaps), a donné son accord pour la commercialisation du Viibryd, le premier antidépresseur « sex-friendly ». D'après les tests, ce traitement n'aurait aucun effet secondaire sur la sexualité des patients. Contrairement à la majorité des antidépresseurs actuels.
Un phénomène « encore sous-évalué »
« Conserver sa libido malgré les médicaments », un argument commercial de poids pour le laboratoire à l'origine de la molécule, qui espère conquérir le marché très lucratif de l'antidépresseur. Un moyen aussi de lever le tabou sur ce sujet délicat, qui toucherait pourtant près d'un dépressif sur deux.
Le phénomène est difficile à chiffrer. Selon les études, il concerne entre 40% et 50% des personnes sous antidépresseurs. Pourtant, Patrick Blachère, psychiatre et enseignant en sexologie, l'estime « encore sous-évalué » :
« Les études sur les antidépresseurs se concentrent sur le début du traitement, soit les huit premières semaines. Pendant cette période, l'état du patient s'améliore et les effets positifs du médicament l'emportent sur les effets secondaires. Ce n'est que dans un second temps, quand le patient va mieux, qu'il réalise ses troubles sexuels, et que la souffrance se fait sentir. »
En France, le tabou dès la prescription
Le psychiatre espagnol Angel Luis Montejo s'est penché sur la question. D'après lui, cet effet secondaire serait le motif d'arrêt invoqué par un patient sur deux. Après analyse, il a aussi montré du doigt le comportement des médecins qui prescrivent les antidépresseurs.
Si en Grèce, en Italie et en Espagne, la sexualité est librement abordée avec les patients pendant les rendez-vous, ce n'est pas le cas dans les pays plus au nord. En France, tous les témoignages concordent en ce sens. Pour Nathalie, le dialogue est impossible :
« Je n'osais pas parler à mon médecin. Lui-même ne m'avait jamais prévenue que ça arrivait souvent aux malades sous antidépresseurs. Quand on est dépressif, on se dit toujours que le problème vient de nous. J'ai été soulagée quand j'ai découvert que ce n'était pas ma faute. »
En France, plus de 80% des antidépresseurs sont prescrits par les médecins généralistes. Les docteurs « de famille » sont donc les premiers confrontés à la souffrance des patients dépressifs. Mais les effets secondaires sont passés sous silence selon Marc Soussan, médecin à Paris :
« Spontanément, on ne parle pas de cet effet secondaire. La pudeur des patients joue beaucoup, même si de plus en plus d'hommes parlent de leurs difficultés. C'est sûr, ce n'est pas la bonne solution de laisser les patients lire les notices, mais pour en parler, il faudrait du temps. Beaucoup de temps. »
Manque de temps ou stratégie médicale
Une consultation de quinze minutes en moyenne, ce n'est pas suffisant pour évoquer tous les problèmes liés à la dépression. Mais dans la revue Impact Santé, le professeur Hélène Verdoux, chef de service en psychiatrie au CHU de Bordeaux, minimise la responsabilité des médecins :
« Il est facile d'accabler les généralistes en dénonçant le fait qu'ils prescrivent trop d'antidépresseurs, mais quelle autre solution ont-ils et quels moyens leur donne-t-on pour répondre à des gens présentant des symptômes dépressifs ? Qui va réaliser les psychothérapies : les psychologues non remboursés ? Les psychiatres souvent inaccessibles ? »
Taire les effets secondaire entre aussi dans une stratégie médicale, pour certains docteurs. Car le premier organe sexuel, c'est le cerveau, rappelle le psychiatre Patrick Blachère :
« En parler de but en blanc, c'est aussi prendre le risque d'induire des symptômes. C'est difficile dans un traitement de faire la différence entre ce qui relève du physique et ce qui révèle du psychosomatique. »
« Bricoler » avec les produits disponibles
Devant le mutisme du corps médical, beaucoup de dépressifs cherchent leurs réponses ailleurs. Sur les forums, les appels à l'aide se multiplient. Olivier y délivre des avis, donne ses « petits trucs » pour palier les effets des antidépresseurs.
Comme beaucoup d'hommes dépressifs, il prend en complément de son antidépresseur du Cialis. Un comprimé comparable au Viagra, qui agit pendant trente heures contre cinq pour le célèbre pilule bleue. Mais à 75 euros la boîte de huit comprimés, la sexualité n'est pas donnée à tout le monde :
« J'en avais besoin parce que ça touchait à l'image que j'avais de moi. Ce n'est pas la panacée, mais ça me rend à peu près présentable. »
Un « bricolage » que connaît bien le psychiatre Bertrand Gilot. Régulièrement, ses patients lui parlent de leurs difficultés à éprouver plaisir et désir. Ensemble, ils
cherchent le meilleur moyen de réduire cette souffrance tout en poursuivant
leur traitement.
Des solutions encore rares
Changement de médicament ou compléments stimulants, les solutions ne sont pas nombreuses. Mais l'enjeu est important : éviter » la mauvaise observance » des patients, c'est-à-dire leur tendance à ne pas respecter les consignes du traitement. Et le risque de les voir retomber dans la dépression.
Auteur du livre « Antidépresseurs : faut-il en prendre ou pas ? », Bertrand Gilot résume :
« Le corps médical considère que les antidépresseurs actuels sont très bien tolérés, par rapport à ceux prescrits il y a vingt ans. D'autant plus que le sexe, chez un dépressif, ce n'est pas vraiment une priorité. Il y a plus urgent. A tort ou à raison, on s'imagine que ce n'est toujours que secondaire. »
Aujourd'hui, l'espoir suscité par cette nouvelle molécule américaine est minimisé par la plupart du corps médical. Le psychiatre Patrick Blachère reste prudent. Il évite le terme de « remède miracle » :
« Rien n'assure que ce médicament sera vraiment efficace. Il existe déjà des antidépresseurs qui ont un effet moindre, voire nul sur la libido. Mais ce ne sont pas les plus prescrits parce que leur effet sur la dépression est insuffisant. »
Parmi les dépressifs, beaucoup préfèrent rester optimistes. Ils espèrent pouvoir mettre fin à « la douleur de l'érection » ou « au silence d'un rapport sans jouissance ». Un premier pas vers la guérison.
Par Charlotte Chabas
15/02/2011
Dès le premier rendez-vous, son médecin lui a prescrit un antidépresseur. Depuis, sa vie sexuelle s'est « comme fanée », raconte Nathalie : « Je ne jouis plus. J'essaie de ressentir cette partie de mon corps, mais elle ne répond plus. »
Une nouvelle molécule bientôt commercialisée aux États-Unis redonne toutefois espoir à ceux qui ont le sentiment de payer au prix fort le traitement de la dépression : plus envie de sexe, plus de sensation, des problèmes nouveaux avec leurs partenaires, et pas d'avertissement, le plus souvent, de la part des prescripteurs.
« Je l'ai découvert tout seul, aucun des médecins que j'ai consultés ne m'avait prévenu », dit Christian, 33 ans, qui doit choisir entre une vie sociale supportable ou une vie de couple. Ce nouvel antidépresseur, « c'est peut-être la fin de [son] calvaire ».
En janvier, la FDA (Food and drug administration, équivalent américain de l'Afssaps), a donné son accord pour la commercialisation du Viibryd, le premier antidépresseur « sex-friendly ». D'après les tests, ce traitement n'aurait aucun effet secondaire sur la sexualité des patients. Contrairement à la majorité des antidépresseurs actuels.
Un phénomène « encore sous-évalué »
« Conserver sa libido malgré les médicaments », un argument commercial de poids pour le laboratoire à l'origine de la molécule, qui espère conquérir le marché très lucratif de l'antidépresseur. Un moyen aussi de lever le tabou sur ce sujet délicat, qui toucherait pourtant près d'un dépressif sur deux.
Le phénomène est difficile à chiffrer. Selon les études, il concerne entre 40% et 50% des personnes sous antidépresseurs. Pourtant, Patrick Blachère, psychiatre et enseignant en sexologie, l'estime « encore sous-évalué » :
« Les études sur les antidépresseurs se concentrent sur le début du traitement, soit les huit premières semaines. Pendant cette période, l'état du patient s'améliore et les effets positifs du médicament l'emportent sur les effets secondaires. Ce n'est que dans un second temps, quand le patient va mieux, qu'il réalise ses troubles sexuels, et que la souffrance se fait sentir. »
En France, le tabou dès la prescription
Le psychiatre espagnol Angel Luis Montejo s'est penché sur la question. D'après lui, cet effet secondaire serait le motif d'arrêt invoqué par un patient sur deux. Après analyse, il a aussi montré du doigt le comportement des médecins qui prescrivent les antidépresseurs.
Si en Grèce, en Italie et en Espagne, la sexualité est librement abordée avec les patients pendant les rendez-vous, ce n'est pas le cas dans les pays plus au nord. En France, tous les témoignages concordent en ce sens. Pour Nathalie, le dialogue est impossible :
« Je n'osais pas parler à mon médecin. Lui-même ne m'avait jamais prévenue que ça arrivait souvent aux malades sous antidépresseurs. Quand on est dépressif, on se dit toujours que le problème vient de nous. J'ai été soulagée quand j'ai découvert que ce n'était pas ma faute. »
En France, plus de 80% des antidépresseurs sont prescrits par les médecins généralistes. Les docteurs « de famille » sont donc les premiers confrontés à la souffrance des patients dépressifs. Mais les effets secondaires sont passés sous silence selon Marc Soussan, médecin à Paris :
« Spontanément, on ne parle pas de cet effet secondaire. La pudeur des patients joue beaucoup, même si de plus en plus d'hommes parlent de leurs difficultés. C'est sûr, ce n'est pas la bonne solution de laisser les patients lire les notices, mais pour en parler, il faudrait du temps. Beaucoup de temps. »
Manque de temps ou stratégie médicale
Une consultation de quinze minutes en moyenne, ce n'est pas suffisant pour évoquer tous les problèmes liés à la dépression. Mais dans la revue Impact Santé, le professeur Hélène Verdoux, chef de service en psychiatrie au CHU de Bordeaux, minimise la responsabilité des médecins :
« Il est facile d'accabler les généralistes en dénonçant le fait qu'ils prescrivent trop d'antidépresseurs, mais quelle autre solution ont-ils et quels moyens leur donne-t-on pour répondre à des gens présentant des symptômes dépressifs ? Qui va réaliser les psychothérapies : les psychologues non remboursés ? Les psychiatres souvent inaccessibles ? »
Taire les effets secondaire entre aussi dans une stratégie médicale, pour certains docteurs. Car le premier organe sexuel, c'est le cerveau, rappelle le psychiatre Patrick Blachère :
« En parler de but en blanc, c'est aussi prendre le risque d'induire des symptômes. C'est difficile dans un traitement de faire la différence entre ce qui relève du physique et ce qui révèle du psychosomatique. »
« Bricoler » avec les produits disponibles
Devant le mutisme du corps médical, beaucoup de dépressifs cherchent leurs réponses ailleurs. Sur les forums, les appels à l'aide se multiplient. Olivier y délivre des avis, donne ses « petits trucs » pour palier les effets des antidépresseurs.
Comme beaucoup d'hommes dépressifs, il prend en complément de son antidépresseur du Cialis. Un comprimé comparable au Viagra, qui agit pendant trente heures contre cinq pour le célèbre pilule bleue. Mais à 75 euros la boîte de huit comprimés, la sexualité n'est pas donnée à tout le monde :
« J'en avais besoin parce que ça touchait à l'image que j'avais de moi. Ce n'est pas la panacée, mais ça me rend à peu près présentable. »
Un « bricolage » que connaît bien le psychiatre Bertrand Gilot. Régulièrement, ses patients lui parlent de leurs difficultés à éprouver plaisir et désir. Ensemble, ils
cherchent le meilleur moyen de réduire cette souffrance tout en poursuivant
leur traitement.
Des solutions encore rares
Changement de médicament ou compléments stimulants, les solutions ne sont pas nombreuses. Mais l'enjeu est important : éviter » la mauvaise observance » des patients, c'est-à-dire leur tendance à ne pas respecter les consignes du traitement. Et le risque de les voir retomber dans la dépression.
Auteur du livre « Antidépresseurs : faut-il en prendre ou pas ? », Bertrand Gilot résume :
« Le corps médical considère que les antidépresseurs actuels sont très bien tolérés, par rapport à ceux prescrits il y a vingt ans. D'autant plus que le sexe, chez un dépressif, ce n'est pas vraiment une priorité. Il y a plus urgent. A tort ou à raison, on s'imagine que ce n'est toujours que secondaire. »
Aujourd'hui, l'espoir suscité par cette nouvelle molécule américaine est minimisé par la plupart du corps médical. Le psychiatre Patrick Blachère reste prudent. Il évite le terme de « remède miracle » :
« Rien n'assure que ce médicament sera vraiment efficace. Il existe déjà des antidépresseurs qui ont un effet moindre, voire nul sur la libido. Mais ce ne sont pas les plus prescrits parce que leur effet sur la dépression est insuffisant. »
Parmi les dépressifs, beaucoup préfèrent rester optimistes. Ils espèrent pouvoir mettre fin à « la douleur de l'érection » ou « au silence d'un rapport sans jouissance ». Un premier pas vers la guérison.