L'ère de la batonnite (dans les roues)
Le progrès tuera l'homme… mais en attendant il casse les bonbons aux infirmier(e)s. Par Didier Morisot, infirmier en psychiatrie
(Version longue d'une chronique parue dans L'Infirmière magazine n°272, 1er février 2010)
En devenant infirmier, je ne pensais pas qu’il fallait (dans certains services) taper sur un clavier pendant des heures. Eh oui, le mal est universel mes amis ; le but final de toute institution n’étant pas de remplir sa mission initiale, mais bien de justifier son existence à l’aide de moyens statistiques et comptables, on n'a pas fini de pianoter… entre nous, le scénario est identique au Pôle Emploi, à la Sécurité sociale et même dans les commissariats ; là-bas, ils appellent ça la batonnite : mettre des bâtons dans les cases afin d’alimenter les chiffres de la délinquance. Tout en caressant le ministère dans le sens du poil, bien sûr…
Facile ; un dealer arrêté avec cinq doses, ce n’est pas une affaire résolue, mais cinq délits solutionnés. Par contre, dix voitures vandalisées au même endroit ne font qu’un seul cas de dégradations de matériel. Elle est pas belle, la vie ?
J’avoue, je suis un scélérat ; moi aussi j’ai pactisé avec la batonnite afin d’avoir la paix. Dans ma carrière, il m’est en effet arrivé de céder à la pression ambiante ; il faut faire du chiffre, les gars… en clair, cliquez rusé ; la santé des gens, on s’en tape, le service rendu, on s’en cogne. Vous comprenez ; les restrictions budgétaires, la facturation à l’activité, tout ça tout ça…
Et je ne parle pas de l’accréditation, cette invention bizarre à mi-chemin de l’écran de fumée et de la sodomisation des mouches…
Priorités inversées
J’avais déjà quitté les urgences, saoulé par les papiers ; les blessés ont mal ? Eh bien, on va déjà s’occuper des formulaires (un quart d’heure), et s’il nous reste du temps, on leur filera un antalgique. Ne rigolez pas, c’est du vécu…
Bref, l’administratif tuera le soin, un(e) infirmier(e) passant volontiers la moitié de son temps au téléphone ou devant son écran. Pour une meilleure efficacité, au service du patient ; et ta sœur, elle compte les poux sur la tête du facteur ?
Marre de travailler comme une bille, marre d’inverser les priorités ; j’ai trop souvent vu des collègues se ramasser une méga soufflante pour une inversion de paperasses, alors que certains comportements très limites ne déclenchaient jamais le moindre courant d’air. Ne rigolez pas, c’est encore du vécu.
Par contre, le jour où vous serez hospitalisé, vous aurez le droit de pleurer…
(Version longue d'une chronique parue dans L'Infirmière magazine n°272, 1er février 2010)
En devenant infirmier, je ne pensais pas qu’il fallait (dans certains services) taper sur un clavier pendant des heures. Eh oui, le mal est universel mes amis ; le but final de toute institution n’étant pas de remplir sa mission initiale, mais bien de justifier son existence à l’aide de moyens statistiques et comptables, on n'a pas fini de pianoter… entre nous, le scénario est identique au Pôle Emploi, à la Sécurité sociale et même dans les commissariats ; là-bas, ils appellent ça la batonnite : mettre des bâtons dans les cases afin d’alimenter les chiffres de la délinquance. Tout en caressant le ministère dans le sens du poil, bien sûr…
Facile ; un dealer arrêté avec cinq doses, ce n’est pas une affaire résolue, mais cinq délits solutionnés. Par contre, dix voitures vandalisées au même endroit ne font qu’un seul cas de dégradations de matériel. Elle est pas belle, la vie ?
J’avoue, je suis un scélérat ; moi aussi j’ai pactisé avec la batonnite afin d’avoir la paix. Dans ma carrière, il m’est en effet arrivé de céder à la pression ambiante ; il faut faire du chiffre, les gars… en clair, cliquez rusé ; la santé des gens, on s’en tape, le service rendu, on s’en cogne. Vous comprenez ; les restrictions budgétaires, la facturation à l’activité, tout ça tout ça…
Et je ne parle pas de l’accréditation, cette invention bizarre à mi-chemin de l’écran de fumée et de la sodomisation des mouches…
Priorités inversées
J’avais déjà quitté les urgences, saoulé par les papiers ; les blessés ont mal ? Eh bien, on va déjà s’occuper des formulaires (un quart d’heure), et s’il nous reste du temps, on leur filera un antalgique. Ne rigolez pas, c’est du vécu…
Bref, l’administratif tuera le soin, un(e) infirmier(e) passant volontiers la moitié de son temps au téléphone ou devant son écran. Pour une meilleure efficacité, au service du patient ; et ta sœur, elle compte les poux sur la tête du facteur ?
Marre de travailler comme une bille, marre d’inverser les priorités ; j’ai trop souvent vu des collègues se ramasser une méga soufflante pour une inversion de paperasses, alors que certains comportements très limites ne déclenchaient jamais le moindre courant d’air. Ne rigolez pas, c’est encore du vécu.
Par contre, le jour où vous serez hospitalisé, vous aurez le droit de pleurer…
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