Ouvriers et cadres, de moins en moins égaux devant la mort
Par Carine Fouteau
5 Novembre 2010
Par Carine Fouteau
5 Novembre 2010
* Les ouvriers paient la retraite des cadres, la formule-choc fonctionne toujours. Le système de soins français a beau être l'un des plus performants au monde, les inégalités sociales devant la mort restent parmi les plus élevées des pays occidentaux.
Alors que le Parlement vient d'avaliser la réforme des retraites, repoussant l'âge légal de 60 à 62 ans, ce paradoxe glaçant est analysé en profondeur par l'anthropologue, sociologue et médecin Didier Fassin, dans un ouvrage collectif panoramique, Santé publique, l'état des savoirs, qui vient de paraître aux éditions La Découverte.
Ni les avancées des connaissances et des techniques médicales, ni l'amélioration des conditions de vie, ne résorbent les écarts de mortalité entre catégories socioprofessionnelles. Au contraire, depuis les années 1970, le fossé a tendance à se creuser. Les données ne sont pas nouvelles, mais méritent d'être rappelées, tant elles pointent l'une des failles structurelles des politiques françaises de santé publique. Dès 1830, le sociologue et médecin Louis-René Villermé établissait un lien entre la mortalité dans les quartiers de Paris et les niveaux de richesse.
Selon l'Insee, un ouvrier non qualifié a aujourd'hui une espérance de vie à 35 ans plus faible de neuf années par rapport à un cadre de la fonction publique (les références sont sous l'onglet Prolonger). La différence est encore plus grande en prenant en compte l'espérance de vie en bonne santé: un cadre de 35 ans peut espérer vivre encore 34 ans sans incapacité, contre 24 ans pour un ouvrier. En un quart de siècle, l'écart entre les deux groupes a augmenté de 16%, notamment sous l'effet, au cours de la période récente, de la hausse des différences de revenus en France, entre les très riches et les très pauvres. Presque aucune pathologie n'échappe à la règle. Chômage et inactivité sont des facteurs aggravants. Pour les femmes, les inégalités sont aussi importantes, mais moins marquées que pour les hommes.
Les modes de vie continuent d'être discriminants : les ouvriers, en moyenne, fument plus et boivent plus d'alcool que les cadres supérieurs; leur alimentation est plus grasse et moins riche en fruits et produits frais; ils pratiquent moins souvent de sport; ils se soignent à un stade plus avancé de leur maladie. Mais ces pratiques culturelles, liées, pour la plupart, aux niveaux de revenus, n'expliquent pas tout. La position sociale a aussi des implications en matière de santé au travail: les accidents entraînant au moins une journée d'arrêt, souligne Didier Fassin, sont non seulement dix fois plus fréquents chez les ouvriers que chez les cadres, mais ils augmentent en fonction de la pénibilité, du bruit, des efforts physiques, des contraintes de rythme, de la pression des collègues et de l'absence de soutien des supérieurs.
* La réduction des inégalités sociales de santé «n'est pas un objectif prioritaire»
Les travaux de chercheurs ont fait apparaître d'autres facteurs, moins évidents, mais tout aussi influents sur la mortalité. Les réseaux sociaux, qui mesurent en creux le degré d'isolement, jouent un rôle décisif: les personnes ayant moins de contacts avec les autres ont une mortalité, à un âge donné, jusqu'à trois fois plus élevée. Les indicateurs mesurant le niveau de confiance dans la société et l'investissement dans des activités collectives donnent des résultats du même ordre. Quant aux écarts observés au travail en fonction de la place occupée dans la hiérarchie, ils s'expliqueraient moins par des différences de revenus que par les «disparités dans le contrôle exercé sur le travail et dans les gratifications obtenues en fonction des résultats».
Malgré ces constats, la réduction des inégalités sociales de santé «n'est pas un objectif prioritaire en France», regrette Didier Fassin, qui remarque que la loi de santé publique de 2004 n'a mentionné cet item que dans un seul de ses cent objectifs. La loi Bachelot sur l'hôpital, les patients, la santé et les territoires (HPST) de juillet 2009 a été tout aussi lacunaire. «Un paradoxe bien identifié, note le chercheur, est que les actions d'information et d'éducation pour la santé accentuent d'autant plus les inégalités qu'elles sont plus efficaces : dans le cas des campagnes contre le tabagisme, par exemple, les résultats ont été bien plus marqués dans les catégories aisées que dans les milieux populaires.» «Ce problème, ajoute-t-il, ne doit certes pas conduire à renoncer à ces actions, mais plutôt à les penser le plus possible du point de vue des disparités sociales et donc le mieux possible en lien avec les conditions et les modes de vie des populations.»
L'accès aux soins est aussi rendu plus compliqué, ces dernières années, pour les personnes les plus fragiles, par diverses pratiques comme les dépassements d'honoraires, le passage de secteur conventionné en honoraires libres ou encore le refus de certains médecins de prendre en charge les bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME) ou de la couverture maladie universelle (CMU). Le gouvernement contribue à cet éloignement, par exemple, lorsque dans le projet de loi de finances pour 2011, il exige des étrangers en situation irrégulière les plus pauvres qu'ils contribuent à hauteur de 30 euros par an.
Alors que le Parlement vient d'avaliser la réforme des retraites, repoussant l'âge légal de 60 à 62 ans, ce paradoxe glaçant est analysé en profondeur par l'anthropologue, sociologue et médecin Didier Fassin, dans un ouvrage collectif panoramique, Santé publique, l'état des savoirs, qui vient de paraître aux éditions La Découverte.
Ni les avancées des connaissances et des techniques médicales, ni l'amélioration des conditions de vie, ne résorbent les écarts de mortalité entre catégories socioprofessionnelles. Au contraire, depuis les années 1970, le fossé a tendance à se creuser. Les données ne sont pas nouvelles, mais méritent d'être rappelées, tant elles pointent l'une des failles structurelles des politiques françaises de santé publique. Dès 1830, le sociologue et médecin Louis-René Villermé établissait un lien entre la mortalité dans les quartiers de Paris et les niveaux de richesse.
Selon l'Insee, un ouvrier non qualifié a aujourd'hui une espérance de vie à 35 ans plus faible de neuf années par rapport à un cadre de la fonction publique (les références sont sous l'onglet Prolonger). La différence est encore plus grande en prenant en compte l'espérance de vie en bonne santé: un cadre de 35 ans peut espérer vivre encore 34 ans sans incapacité, contre 24 ans pour un ouvrier. En un quart de siècle, l'écart entre les deux groupes a augmenté de 16%, notamment sous l'effet, au cours de la période récente, de la hausse des différences de revenus en France, entre les très riches et les très pauvres. Presque aucune pathologie n'échappe à la règle. Chômage et inactivité sont des facteurs aggravants. Pour les femmes, les inégalités sont aussi importantes, mais moins marquées que pour les hommes.
Les modes de vie continuent d'être discriminants : les ouvriers, en moyenne, fument plus et boivent plus d'alcool que les cadres supérieurs; leur alimentation est plus grasse et moins riche en fruits et produits frais; ils pratiquent moins souvent de sport; ils se soignent à un stade plus avancé de leur maladie. Mais ces pratiques culturelles, liées, pour la plupart, aux niveaux de revenus, n'expliquent pas tout. La position sociale a aussi des implications en matière de santé au travail: les accidents entraînant au moins une journée d'arrêt, souligne Didier Fassin, sont non seulement dix fois plus fréquents chez les ouvriers que chez les cadres, mais ils augmentent en fonction de la pénibilité, du bruit, des efforts physiques, des contraintes de rythme, de la pression des collègues et de l'absence de soutien des supérieurs.
* La réduction des inégalités sociales de santé «n'est pas un objectif prioritaire»
Les travaux de chercheurs ont fait apparaître d'autres facteurs, moins évidents, mais tout aussi influents sur la mortalité. Les réseaux sociaux, qui mesurent en creux le degré d'isolement, jouent un rôle décisif: les personnes ayant moins de contacts avec les autres ont une mortalité, à un âge donné, jusqu'à trois fois plus élevée. Les indicateurs mesurant le niveau de confiance dans la société et l'investissement dans des activités collectives donnent des résultats du même ordre. Quant aux écarts observés au travail en fonction de la place occupée dans la hiérarchie, ils s'expliqueraient moins par des différences de revenus que par les «disparités dans le contrôle exercé sur le travail et dans les gratifications obtenues en fonction des résultats».
Malgré ces constats, la réduction des inégalités sociales de santé «n'est pas un objectif prioritaire en France», regrette Didier Fassin, qui remarque que la loi de santé publique de 2004 n'a mentionné cet item que dans un seul de ses cent objectifs. La loi Bachelot sur l'hôpital, les patients, la santé et les territoires (HPST) de juillet 2009 a été tout aussi lacunaire. «Un paradoxe bien identifié, note le chercheur, est que les actions d'information et d'éducation pour la santé accentuent d'autant plus les inégalités qu'elles sont plus efficaces : dans le cas des campagnes contre le tabagisme, par exemple, les résultats ont été bien plus marqués dans les catégories aisées que dans les milieux populaires.» «Ce problème, ajoute-t-il, ne doit certes pas conduire à renoncer à ces actions, mais plutôt à les penser le plus possible du point de vue des disparités sociales et donc le mieux possible en lien avec les conditions et les modes de vie des populations.»
L'accès aux soins est aussi rendu plus compliqué, ces dernières années, pour les personnes les plus fragiles, par diverses pratiques comme les dépassements d'honoraires, le passage de secteur conventionné en honoraires libres ou encore le refus de certains médecins de prendre en charge les bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME) ou de la couverture maladie universelle (CMU). Le gouvernement contribue à cet éloignement, par exemple, lorsque dans le projet de loi de finances pour 2011, il exige des étrangers en situation irrégulière les plus pauvres qu'ils contribuent à hauteur de 30 euros par an.