LE MONDE DES LIVRES | | Propos recueillis par Julie Clarini
Avec Théories et institutions pénales se clôt l’édition des cours donnés par le philosophe Michel Foucault (1926-1984) au Collège de France. François Ewald a codirigé cette entreprise avec le philosophe italien Alessandro Fontana. Concomitamment paraît une nouvelle traduction, par le même Alessandro Fontana et par Xavier Tabet, du traité Des délits et des peines, dont on sait que son auteur, Cesare Beccaria (1738-1794), avait beaucoup intéressé Michel Foucault. De là vient l’idée de ce dialogue entre le philosophe François Ewald et Xavier Tabet, professeur d’études italiennes.
Qu’apporte à la connaissance et à l’interprétation de l’œuvre de Michel Foucault la publication des treize volumes de ses cours au Collège de France ?
François Ewald Cette entreprise a profondément modifié la réception de Foucault. De plusieurs manières. Au début, on y a vu des premières versions de livres. Puis on a trouvé dans ces cours des thématiques sur lesquelles il n’y a pas de livres, par exemple les cours de 1978-1979 sur la gouvernementalité, qui font actuellement l’objet d’un débat intense : on s’interroge sur les rapports de Foucault avec le néolibéralisme. Et puis il y a un troisième niveau, pour moi le plus important : on découvre qu’il y a un projet spécifique de Foucault au Collège de France, le projet d’une histoire de la vérité. C’est un projet tout à fait original, qui explore ces expériences de la vérité qui ne se réduisent pas à celles qui sont canonisées par l’épistémologie classique. Foucault analyse les formes de véridictions, de dire-vrai, qu’il peut y avoir dans d’autres domaines que scientifiques : religieux, judiciaire, politique… Il s’est livré à une sorte d’inventaire du dire-vrai en 13 volumes, une entreprise unique dans l’histoire de la philosophie en Occident.
On peut dire que la grande question de Foucault, c’est l’étude de cette caractéristique anthropologique qui fait que la subjectivité humaine est liée au fait de dire vrai. Il n’y a pas de sujet humain sans cette contrainte de la vérité – laquelle prend des formes multiples. Son questionnement est nietzschéen : pour lui, les jeux mêmes d’opposition du vrai et du faux ne sont pas « vrais ». Il ne faut pas les prendre comme un donné. Ils sont eux-mêmes une construction qui relève d’une sorte d’arbitraire fondamental. Pour Foucault, la limite n’est pas une limite sceptique, c’est une limite nihiliste qu’il définit comme : « Comment vivre si rien n’est vrai ? »