Son nom est Wang. Wang Bing. Quarante-huit ans, pieds solidement plantés dans le sol, visage lunaire, sourire avenant mais qui ne trompe pas sur la détermination qui se cache derrière. Depuis une dizaine d’années, à travers ses films, Wang s’est fait l’agent très spécial d’un certain nombre, pour ne pas dire d’un nombre certain de Chinois qui ne trouvent pas à leur goût la conversion de leur pays à l’économie de marché, laquelle reconduit à leur endroit la brutalité séculaire des hiérarques envers le peuple, pérennise l’iniquité sociale, piétine la liberté d’expression, finit de réduire en miettes les repères de la vie sociale.
Sans doute n’est-il pas le seul réalisateur chinois à le faire. Il est, en revanche, le seul qui le fasse avec autant de persévérance, d’humanisme, de conviction en la puissance documentaire du cinéma. Il faudrait ici rappeler, en passant, que Wang Bing est un des plus grands documentaristes de ce temps, et qu’il doit sans doute à la relative confidentialité du genre et à la totale clandestinité de son œuvre de ne pas avoir encore écopé neuf cents ans de prison à domicile. « Je n’entretiens délibérément aucun contact avec les gens du cinéma ni avec les autorités. Je tourne pratiquement seul », nous dit-il avec un air parfaitement tranquille. La saga a commencé en 2003 avec un film de neuf heures, A l’ouest des rails, sidérante et élégiaque chronique du dénuement des ouvriers confrontés au démantèlement d’un complexe industriel du nord de la Chine. Après avoir porté le documentaire du XXIe siècle à un tel niveau, Wang Bing devait par la suite se relâcher sur la durée (folâtrant à trois ou quatre heures de moyenne) mais jamais sur la vocation testimoniale de son cinéma, qu’il faut se garder de réduire à une œuvre militante.